Résumé: La vie aventureuse d´un des plus grands intellectuels espagnols du Moyen Âge. À la fin du XIIIe siècle, un moine est assassiné dans le monastère de Santa Catarina, à Barcelone. Le Tribunal de l'Inquisition accuse du meurtre un vieux rabbin, qui devant cette injustice délègue l'un de ses disciples, le jeune Ramon Llull (futur philosophe, mystique et poète !) pour mener l'enquête. Entre Majorque et Barcelone, Montpellier et Paris, Llull souffrira des pogroms, il apprendra la kabbale, deviendra fou damour, s'initiera au soufisme arabe, et sera même poursuivi par le Saint Office...Une enquête au parfum du Nom de la Rose et aux ramifications érudites, dont la clé est un texte mythique d'alchimie hébraïque, la Table dÉmeraude...
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ajorque, 1263. Ramon Llull, hobereau local, reçoit la dernière lettre d’un vieux rabbin qui fut son mentor et que l’Inquisition accuse du meurtre d’un moine copiste. Prié par le vieillard d’intercéder auprès du roi, Ramon, d’abord réticent, décide d’élucider l’affaire. Son enquête le conduit à Barcelone où une grande controverse vient d’opposer les dominicains aux plus sages connaisseurs de la religion juive. Parmi eux, Nahmanide, spécialiste de la kabbale, pourrait bien livrer à Ramon la clé du mystérieux manuscrit dissimulé par le moine assassiné derrière une icône de sa cellule. Que recèle donc de si terrible cette Tabula Smaragdina qui semble intéresser un peu trop de monde ?
Un écrit sibyllin contenant un secret qui pourrait modifier l’appréhension du monde, un homicide aux desseins plus que douteux, le péril pesant sur toute une communauté, les visées troubles d’un groupe de fanatiques, un noceur impénitent devenu détective malgré lui et dont la vie va en être radicalement changée, un zeste de romance. Voici les ingrédients rassemblés par Eduard Torrents dans ce récit historique teinté d’ésotérisme qui n’est pas sans rappeler, sur le fond, l’incontournable best-seller d’Umberto Eco, Le Nom de la rose.
Voulue ou non, la parenté n’en est pas moins relevée de façon honorable. En effet, comme le prouvent suffisamment les quatre pages de commentaires qui terminent l’album et ainsi que le souligne pertinemment le médiéviste Alejandro Martínez Giralt signant le prologue, l’auteur s’est amplement documenté sur le contexte de l’époque qu’il met en scène – la deuxième moitié du XIIIe siècle - et sur l’éminent personnage historique qui en est le héros. Philosophe, mystique, linguiste, promoteur du catalan, poète même, Ramon Llull (1232-1316) fut sans nul doute l’un des plus grands penseurs de son temps. Il laissa de nombreux textes dont une Vita Coetanea dans laquelle Eduard Torrents a puisé pour imprégner son récit de l’esprit de son principal acteur, tout en choisissant de développer la période de sa vie la moins connue : sa jeunesse, sa découverte de la kabbale, son apprentissage de l'hébreu et de l'arabe, ainsi que les prémices de sa conversion.
Tant d’éléments créent une véritable richesse, une source d’enseignements susceptible de combler la curiosité des amateurs d’histoire. Cependant, certaines explications – l’éclairage donné par Nahmanide sur les principes kabbalistiques, le débat théologique entre dominicains et rabbins –, aussi intéressantes soient-ils, pourraient paraître indigestes ou absconses aux moins connaisseurs. Elles n’handicapent néanmoins pas outre mesure une intrigue plutôt bien menée. L’enquête menée par Ramon Llull suit son cours de façon fluide et sans à-coup. Elle s’inscrit parfaitement dans le contexte de l’époque et se mêle assez bien à l’aspect politico-religieux du scénario, révélé et développé dans des passages qui viennent combler les pointillés laissés par les investigations du héros. La romance, toute platonique, entre Ambroisie et Ramon, bien que reliée au mystérieux livre, n’apporte pas grand-chose au récit, en dehors d’un petite dose de tragédie supplémentaire qui fait malheureusement long feu, faute d’intensité dramatique palpable.
Enfin, portant le récit, le dessin d'Eduard Torrents s'avère de bonne facture et plutôt expressif. On y décèle, derrière le trait doux, un souci de précision ainsi qu'une volonté de rendre au mieux l'ambiance sombre du propos. La clarté du découpage, quelques plans cinématographiques, la restitution plutôt convaincante des villes médiévales traversées, constituent autant de points positifs sur lesquels glisse l'aspect quelque peu figé du graphisme.
Ramon Lull - La controverse juive n'est certes pas un grand album, mais il s'avère d'une lecture aussi agréable qu'intéressante. Ce qui n'est déjà pas si mal pour une première BD.