Résumé: L’ère des robots est déjà là !
Isolée sur une île, l’usine R.U.R. s’est lancée dans la production d’êtres humains artificiels. Semblables à des androïdes, ces « robots » performants et dénués de tout sentiment sont censés libérer enfin l’Homme du travail ! Un rêve pour le directeur, une abomination pour Helena qui découvre ces créatures avec effroi en visitant les chaînes de production. Troublée par leur aspect humanoïde, cette jeune femme a un mauvais pressentiment. Les robots sont-ils aussi insensibles qu’on le pense ? Méconnaissant l’amour, ignorant la mort, la fatigue ou l’ennui, ils finissent cependant par ressentir la douleur après une nouvelle programmation ! Imperturbables, ils continuent néanmoins d’obéir aveuglément… Les années passent et les inquiétudes d’Helena persistent alors que la Société s’est désormais habituée aux robots. Devenus indispensables, leur nombre augmente. Mais vont-ils rester impassibles longtemps ? Ressentent-ils des émotions, des passions, de la haine ? Tandis qu’une rébellion des robots aussi inattendue que brutale s’annonce, leurs créateurs se retrouvent pris au piège dans leur propre usine. L’Humanité vit-elle ses dernières heures face à une nouvelle ère des robots ?
Katerina Cupová, jeune prodige de la bande dessinée tchèque, nous propose une adaptation somptueuse de R.U.R., œuvre fondatrice dans laquelle le mot « robot » est apparu pour la première fois en 1920 ! Pièce de théâtre de l’écrivain Karel Capek qui compta Antonin Artaud parmi ses premiers interprètes, cette dystopie sociale aborde un thème largement repris depuis, mais auquel le roman graphique, captivant et moderne, redonne un coup d’éclat. Offrant une réflexion sur les notions de travail, de progrès, l’ouvrage nous questionne ainsi sur notre propre humanité. Le style graphique de l’autrice, élégant et coloré, annonce définitivement l’émergence d’un nouveau talent.
D
ans le cabinet des curiosités du patrimoine de la science-fiction mondiale, voici un artefact assez inhabituel : R.U.R.. Il s'agit d'une pièce d'un auteur tchécoslovaque, Karel Čapek, montée pour la première fois en 1921. Cette fable dystopique possède une aura particulière parce qu'elle est à l'origine d'un mot qui fait, depuis, partie du langage courant : robot. Pourtant, il n'est jamais question de machine dans le sens qui est désormais associé à ce terme. En effet, ce récit fait écho à une autre angoisse, typique de cette époque, née de la standardisation industrielle telle qu'imaginée sur les lignes de production révolutionnaires d'Henry Ford, théorisée par le taylorisme et moquée par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes.
La R.U.R., ou Rossum's Universal Robots, est une usine qui possède le monopole de la fabrication d'êtres synthétiques. Elle inonde le monde de centaines de milliers d'androïdes destinés à réaliser les tâches les plus ingrates ou ennuyeuses. Les différents modèles qui composent son catalogue sont conçus pour un maximum d'efficacité. Tout ce qui ne sert pas à leur fonction a été supprimé. Physiquement plus fort que leurs créateurs, leur programme est réduit à la portion congrue. Ils ne réfléchissent pas. Ils ne ressentent pas la peur, le plaisir ou l'envie. Ils ne peuvent aimer ou haïr. Ils sont parfaits selon Domin, le directeur. Ils ne sont que des outils, parfaitement adaptés à leur usage. Aucun risque qu'ils se révoltent, ils ne possèdent aucune volonté, corps inanimés dépourvu d'âme. De plus, ils sont dotés d'une durée de vie limitée à vingt ans.
Tout est sous contrôle.
Ainsi libérée de toute activité laborieuse, l'Humanité pourra, à terme, vivre une vie de plaisir.
En essentialisant l'ouvrier à un objet qui produit un service, ne lui laissant un aspect humanoïde que par confort, R.U.R. développe une critique acerbe de la standardisation des tâches. Avec le recul, cette dystopie paraît sans doute un peu naïve. La philosophie défendue par les responsables relève d'un étrange mélange de cynisme et d'idéalisme béat. Le monde a sans doute pris un chemin très différent et la satire ne possède plus le mordant qu'elle possédait à l'origine. Elle conserve pourtant une vraie pertinence par certains aspects de son interrogation de la séparation entre une élite incapable de travailler de ses mains et une force de travail réduite à une nature de sous-homme. Un siècle plus tard, quelques passages glaçants démontrent qu'à une ou deux variables près, les problèmes n'ont guère changé.
L'adaptation est signée par Katerina Cupová, jeune prodige tchèque. Son style élégant et coloré apporte une certaine légèreté aux planches, jouant habilement des couleurs pour distiller une ambiance complexe dans un récit où l'optimisme béat de quelques-uns les empêche de réaliser l'impasse dans laquelle ils se sont précipités. Malheureusement, il est extrêmement difficile de transcrire du théâtre en bande dessinée. Le rythme et la narration reposent avant tout sur des dialogues et une contrainte spatiale imposée par la scène, qui influence fortement les interactions entre les personnages. Katerina Cupová s'en sort parfois avec brio. Elle échoue à d'autres moments, n'offrant qu'un groupe de personnages plantés artificiellement dans un décor, sans naturel ou dynamisme. Au final, cet ouvrage rétrofuturiste singulier ne se contente pas d'imaginer un futur alternatif reposant sur des craintes devenues partiellement caduques. Il démontre à quel point les idéologies ne font que ripoliner la façade, sans rien changer fondamentalement.