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i>Storm Front, le quatrième tome de la série d’espionnage de Greg Rucka, s’ouvre sur une tragédie. Ed Kittering est retrouvé mort dans son lit, dans un hôtel de Caracas où il menait une simple enquête de routine. Cause du décès ? Mort naturelle même si chacun peine à s’en convaincre comme à se défaire du poids de la culpabilité.
Culpabilité encore pour Paul Crocker, le directeur des opérations spéciales. Un homme d’affaires russe est kidnappé à Tsibilissi, une rançon est exigée et les autorités géorgiennes semblent compromises. Ce qui devait rester une affaire interne à cette ancienne république soviétique prend soudain une autre dimension. De vieux fantômes, d'anciens dossiers, ressurgissent au risque de causer la perte d'un nouvel agent (Voir le premier tome des dossiers déclassifiés).
Une fois encore, les héros de Queen & Country se trouvent plongés au cœur d’une brûlante actualité et la Géorgie de constituer leur nouveau terrain de jeu. Mais le véritable théâtre des opérations est ailleurs, dans la fosse, au sein même des bâtiments du MI-6. Rucka est un équilibriste et tout son talent réside dans sa capacité à ne jamais sacrifier les personnages au profit de l’action, à balancer entre la géopolitique, une fine compréhension de son sujet, et une caractérisation poussée de chacun des protagonistes. L’espion est aussi un simple employé, un fonctionnaire comme un autre, au service d’une lourde machinerie bureaucratique, où l’accident de travail mène parfois à une incapacité définitive. Le SIS (Secret Intelligence Service) est une administration lambda, avec ses pesanteurs, son inertie. Le service ne saurait tourner sans les petites mains qui s’y agitent et les rôles secondaires d’y occuper souvent la première place. Rucka brosse ainsi le portrait de Kate, l’assistante personnelle de Crocker, dont le poste est décrit, à plus d’un titre comme le plus difficile et le plus important. S’il est un pilier des services de renseignements, il n’est pas à chercher sur le terrain même si l’on y observe, effaré, une Tara Chace déterminée, au sang-froid et à la volonté hors du commun. Il y a du Katina Choovanski (Strangers in Paradise) dans ce petit bout de femme, le trait rond de Carla Speed McNeil partage, à cet égard, beaucoup d’affinités avec celui de Terry Moore.
La fosse, c’est aussi une famille, soudée mais dysfonctionnelle, où l’esprit de corps ne se résume pas à une figure de style. Rucka s’investit pleinement sans jamais céder à la facilité. Le ton est le bon. Chaque dialogue, chaque attitude, chaque mot sonne juste. Rien de factice ou de surjoué. Et le scénariste de s’attarder sur ces instants où l’équipe, souffrant la perte de l’un des siens, doit se reconstituer. Comme il est difficile d'accorder sa confiance au nouvel arrivant, de l’intégrer au sein de ce drame personnel ! La colère se mêle à la frustration, les sentiments à l’expertise.
McNeil livre une composition à la mesure des émotions ressenties. Les cernes, la fatigue, l’usure psychologique, autant d'éléments parfaitement retranscrits par le trait charbonneux, gras et épais, mi-réaliste, mi-cartoony de la dessinatrice. L’utilisation des hachures, la sobriété des noirs et blancs parachèvent cette impression. Mais ce qui sied à la description de la routine des bureaux peine parfois à retranscrire l’urgence du terrain. Le dessin un peu figé s’accommode avec plus de difficultés des scènes d’actions mais retrouve de sa superbe dès que le rythme s’apaise. McNeil livre ainsi de belles séquences intimistes et sa prestation n’a pas à rougir de la comparaison avec celles de ses prédécesseurs.
Complexité du monde, complexité des personnages, avec Queen & Country, Greg Rucka signe assurément son œuvre la plus personnelle et la plus aboutie.
>>> Lire la chronique du tome 2, Opération: Crystall Ball.
>>> Lire la chronique du tome 3, Opération: Blackwall.
>>> Lire la chronique du tome 5, Opération: Dandelion.
>>> Lire aussi la chronique du premier tome des dossiers déclassifiés.