Résumé: Un explorateur mystérieux et solitaire sillonne le Sahara à la recherche de criquets noirs qui ont bouleversé sa vie et dont il croit qu'ils vont provoquer un cataclysme. Hanté par la quête de leur origine, fasciné par une force obscure et écrasante, il ne peut que s'enfoncer davantage dans le désert, persuadé de pouvoir faire face, seul, à la fin du monde... La nuit, Imashek, l'esprit du désert, vient lui tenir compagnie et tente de le convaincre de l'absurdité de son projet. « Tout a une fin ! », ne cesse-t-il de lui répéter. Mais l'explorateur met du temps à comprendre qu'une fin peut donner naissance à un nouveau début et que la fin de son monde ne signifie pas forcément la fin du monde. Récit intime, questionnement existentiel et réflexion sur le monde actuel, Point Zéro brouille les limites entre réel et fantastique. Contes du désert, souvenirs et hallucinations se mêlent dans à une savante alternance de noir et blanc et de couleurs, de ligne claire et de fusain.
«
Parler du désert, ne serait-ce pas, d'abord, se taire, comme lui, et lui rendre hommage, non de nos vains bavardages, mais de notre silence ?» Théodore Monot
En mission de recherche entomologique quelque part dans le Sahara, un homme arpente ergs et plateaux décharnés en collectant des informations. Les criquets noirs qui l’intéressent servent d’indicateurs de changements à venir et les nouvelles ne sont pas bonnes. Il est donc crucial de collecter un maximum de données. Pour cela, il s’enfonce toujours plus loin au fin fond de ces terres arides, malgré les risques.
Conte philosophique dans les règles de l’art, Point zéro mesure l’être humain à l’infini. Chaque soir, autour du feu, un étrange dialogue a lieu entre ce savant et Imashek, un esprit sorti de la noirceur ayant pris la forme d’un Touareg. L’ambiance est toute «prattienne», les trésors en moins. Les étoiles, un monde minéral pétrifié (méfiez-vous cependant, il regorge de vie) font face à une âme et à sa finitude. Pour passer la nuit, les grands penseurs et poètes arabes nourrissent les réflexions, tandis que celui qui joue le rôle de héros voit ses convictions emportées par un khamsin assassin. L’aube apportera-t-elle les réponses attendues ? Non, ça serait trop simple. Ces dernières ne peuvent venir que de l’intérieur, encore faut-il accepter ses limites. Imperturbable et intangible, le désert a le temps, lui.
Kamal Zakour a puisé dans ses souvenirs (son père en particulier, cf. le dossier en fin d’ouvrage) pour imaginer et nourrir son scénario. Cet ancrage familial essentiel enrichit le ressenti général et rend les échanges, souvent métaphoriques et symboliques, tangibles et plus concrets. De son côté, Abir Gasmi varie les styles et les approches afin de donner corps à ces palabres existentiels. Encrage solide à un moment, crayonné brut à un autre, en noir et blanc ou en couleurs, il suggère admirablement la diversité des paysages et des horizons. Cette multiplication des traits permet également de décrire le chaos intérieur du protagoniste principal. Résultat, l’ensemble forme un tout d’allure étrange et parfois difficile à appréhender. Heureusement, l’album se montre finalement totalement cohérent et immensément vibrant.
Un cadre géographique extraordinaire, une actualité et une intelligence des propos de tous les instants, Point zéro (titre un peu malheureux au demeurant) est une BD exigeante et envoûtante. Aurez-vous le courage de franchir la première dune et de vous y perdre ?