Résumé: L’Alaska, la dernière frontière... Cette contrée sauvage et hostile, le rêve de chaque aventurier voyageur... J’ai rêvé de partir au bout du monde, arpenter ses grands espaces. Mais j’ai été contraint de rester
Alors je suis parti en restant... J’ai attrapé des poissons trompettes, des canards striés et des lièvres à écharpes. J’ai pisté les traces et les empreintes de la faune locale. J’ai réussi à piéger un gibier inconnu.
J’ai dompté un ours malgré une désinsertion partielle de l’extrémité astragalienne du faisceau péronéo-astragalien antérieur. J’ai vu tout ce qu’ils ne regardent plus, écouté et voyagé avec la musique d’un joli mot. Observé une chaise, prêté l’oreille à la couleur du son.
J’ai valsé avec le futile et l’insignifiant, reconsidéré le négligeable... J’ai exploré et consigné les us et coutumes de cette contrée qui m’était si inconnue : le coin de ma rue...
« Partir en restant ». On peut résumer par ces quelques mots l’aventure singulière que va vivre le nouveau héros de Chabouté. Après Musée et Yellow Cab, l’artiste, toujours en fin observateur, nous invite à saisir la poésie du moment banal, à chercher l’insolite ou à le provoquer, à s’étonner et à se surprendre de ce que l’œil a déjà vu mille fois. Avec grâce, Chabouté nous offre un savoureux voyage, un voyage juste un peu plus loin qu’ailleurs, et nous redonne ce que la Société moderne nous prend : le temps de rêver.
Même quand il adapte les textes du répertoire (Construire un feu, Moby Dick) ou qu’il embarque pour Terre-Neuve (Terre Neuvas), c’est bien plus les individus que les grands espaces qui intéressent vraiment Christophe Chabouté. Tout seul, Fables amères et Un peu de bois et d'acier montrent bien cette attention toute spéciale pour l’intime et la fragilité de l’instant présent. L’humain, la proximité, les petites choses, il ne cesse de se pencher sur ce que les yeux balayent d’un seul regard et oublient immédiatement. Plus loin qu’ailleurs se présente comme une espèce de synthèse de toutes ses préoccupations.
Le héros a soif de dépaysement, d’aller voir au bout de l’horizon. Ici, le regard est bouché et l’atmosphère est grise, lui semble-t-il. Un incident va bouleverser ses plans et l’obliger à redécouvrir son propre environnement et lui-même en passant. Même si la COVID est passée par là (impossible de ne pas voir les conséquences des différents confinements comme inspiration à ce projet), rien n’a vraiment changé depuis Candide et les souvenirs de Xavier de Maistre. Certes, les nouvelles technologies sont apparues et brouillent un peu plus les pistes. Cependant, les solutions au problème n’ont pas bougé d’un iota : prendre le temps, observer sincèrement autour de soi et s’ouvrir au merveilleux qui se cache derrière chaque pavé ou le souffle du vent.
Mélancolique et «feel good» à la fois, philosophique et un peu naïf (suivant votre niveau de tolérance), Plus loin qu’ailleurs est un concentré d’humanité et de ressenti. Visuellement, le résultat n’est pas en reste, puisque le récit est magnifié par un des plus beaux et purs dessin N&B du Neuvième Art. Christophe Chabouté continue sa route. Pour cette fois, il s’est arrêté simplement sur le seuil de son atelier : il n’y avait pas besoin d’aller plus loin. Merci l’artiste.