Résumé: Inaugurant la série Pionnières mettant au premier plan des femmes audacieuses qui ont su s’imposer dans des univers masculins, le récit d’Anita Conti, première femme océanographe française, nous plonge dans la vie d’une idéaliste qui, contre vents et marées, est allée au bout de ses rêves
A
u milieu des années trente, à Paris, Anita Conti rêve de voyage, d’océan et d’exploration. Épouse émancipée, autrice de quelques articles sur le monde maritime, ses héros sont le découvreur Jean-Baptiste Charcot ou Auguste Piccard, inventeur d’un bathyscaphe. Elle se fait repérer par Édouard Le Danois, océanographe, qui lui obtient le poste de documentaliste à l’Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes. Elle éblouit par son investissement et son professionnalisme. Devenue attachée de presse pour le même organisme, qui inaugure son navire d’exploration, elle fait des pieds et des mains pour accompagner l'expédition. Mais, en ce temps-là, une personne du beau sexe sur un bateau « ça ne se fait pas », voire « ça porte malheur ». À force de ténacité et d’appuis solides, Anita finit par embarquer et peut alors laisser s’exprimer ses intuitions scientifiques et son talent de cartographe.
Avec Anita Conti, les Éditions Soleil lancent une nouvelle collection : Les Pionnières. L’objet est de sortir de l’oubli et de narrer l’itinéraire de femmes aventureuses, audacieuses et novatrices, ayant participé activement, et trop anonymement, à des progrès considérables, dans divers domaines. C’est Nathaniel Legendre (Crawford, Zigeuner) qui écrit ce premier volume, mis en images par Katia Ranalli, illustratrice italienne, qui se confronte à sa première bande dessinée. Le lecteur suit, organisées chronologiquement, les étapes d’une vie marquée par la passion, la détermination et les combats de son temps. L’appel du large et de la connaissance trouve sur son passage la misogynie institutionnalisée (dans les laboratoires, la navigation ou l’armée), mais aussi la Seconde Guerre mondiale, puis la fuite en avant d’un certain capitalisme qui exploite aveuglément les richesses naturelles. Anita Conti défriche partout où elle passe. Elle corrige les cartes de bord, répertorie toutes les espèces de poissons ou crustacés ramenés dans les filets des chalutiers, observe les habitudes alimentaires des animaux marins ou cartographie les fonds des océans. Elle pose les fondements de l’océanographie et de l’écologie, rien de moins.
Le dessin de Katia Ranalli est classique et consensuel, ce qui sied parfaitement au propos pédagogique de l’album. Quelques cases révèlent des erreurs de proportion ou des perspectives maladroites. Le trait et la technique doivent encore s’affirmer. La mise en couleur de Florent Daniel est d’un académisme irréprochable, mais n’en séduit pas moins l’œil pour autant. La narration et le découpage se laissent suivre sans accroc, même si la seconde moitié de l’existence de l’héroïne aurait mérité davantage de développement. Néanmoins le format quarante-huit planches est intransigeant. Ce manque est partiellement rattrapé par le dossier qui clôt l’ouvrage.
En 1984 – c’était hier – l’Académie de marine a refusé d’ouvrir ses portes à Anita Conti, au prétexte qu’elle n’était pas un homme et, de surcroît, dépourvue de diplôme, deux fautes majeures aux yeux de bien des institutions. Ce volume a le mérite de rendre enfin justice à une dame exceptionnelle et d’ébranler la chape de l’oubli.