Résumé: Au coeur de l'Italie, Geppetto - vieillard solitaire - fabrique accidentellement dans un morceau de bois un pantin extraordinaire capable de parler, et dont le nez s'allonge à chaque mensonge. Il l'appelle Pinocchio.
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ire que Pinocchio est mondialement connu est un euphémisme. Il est d’abord devenu un personnage mythique européen, héros d’un conte de fées, dont l’histoire a bercé l’enfance de plusieurs générations grâce à de multiples éditions d’albums illustrés. Walt Disney lui a ensuite assuré une renommée internationale, avec son dessin animé éponyme sorti aux Etats Unis en 1940. Comme beaucoup de personnages entrés dans l’imaginaire collectif, on en oublie souvent l’origine, on fait évoluer son pouvoir symbolique en fonction de ce que l’on veut lui faire dire à l’instant présent. Notre représentation de Pinocchio en 2015 vient pour l'essentiel de cette adaptation. Même s’il est patent que ce dernier est l’un des plus sombres de la production Disney, de larges libertés ont été prises et le récit originel a été vidé d’une partie de ses choix esthétiques et narratifs.
Cette nouvelle édition de Pinocchio, illustrée par Jérémie Almanza, est une superbe occasion de revenir au texte d’origine. Celui-ci est né sous la plume de Carlo Collodi (1826-1890), fonctionnaire, journaliste et écrivain italien, auteur de romans, de drames, de contes et de manuels scolaires. Ecrit à la fin de sa vie, entre 1881 et 1883, Pinocchio est un ouvrage de commande, destiné à éponger des dettes de jeux. Collodi connaîtra à peine le succès retentissant de son jeune garçon.
Pinocchio est un pantin taillé dans un morceau de bois vivant, qui va vivre des expériences, heureuses, malheureuses, effrayantes ou désopilantes. Elles mettent en perspective, par le fantastique du récit et le statut de pantin animé du (anti)héros, le tragique de la condition humaine. Le monde de Collodi et de Pinocchio n’est pas gai. L’innocence y est malmenée par la cupidité, au point de se perdre. Les détours par des situations loufoques ou des êtres fantastiques ne sont que des miroirs grossissants ou déformants de la réalité. Le procédé avait déjà été utilisé par Lewis Caroll dans Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865).
Les superbes illustrations de Jérémie Almanza puisent leur source esthétique dans les dessins qui illustraient les publications pour la jeunesse de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle, notamment celles d’Enrico Mazzanti qui accompagnaient les premières éditions de Pinocchio. L’idée est de revenir aux sources, sans pour autant négliger une énergie picturale ou une construction du décor ancrées dans la modernité. Chacun des trente-six chapitres s’ouvre sur une enluminure présentant un visage, drôle ou effrayant, pris dans une couronne végétale. Mais ce sont surtout des pleines pages, des doubles pages ou des insertions au creux du texte qui permettent à Jérémie Almanza de faire exploser son talent, empli de poésie, d’imagination et d’émotion.
C’est à nouveau un magnifique ouvrage à mettre au compte de la très belle collection Métamorphose des Editions Soleil. Le livre est soigné (la qualité du papier est à la hauteur de l’entreprise) et complet : l’éditeur y fait figurer des notes, une chronologie et une bibliographie de Collodi, qui permettent de compléter cette immersion nouvelle dans ce récit mythique. Pinocchio se lit encore avec pertinence en 2015 et Jérémie Almanza y contribue largement.