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énégal 1671, le marquis De Dunan poursuit ses pérégrinations dans un Saint-Louis tout juste colonisé. Paradoxe de cet homme à la mi-chemin entre les personnages de Pierre Richard dans « La chèvre » et de Philippe Noiret dans « Coup de torchon », s’il est perclus de certitudes, arrogant et suffisant, il sème sur son passage et dans une totale insouciance le chaos et la désolation sans oublier le ridicule. Le jeune Jean complètement déconcerté est le témoin impuissant des gesticulations de celui qui l’a pris sous sa coupe. Néanmoins, plus sensible et rêveur, il découvre au contact de cette civilisation qui lui était inconnue d’autres aspects de la vie et se trouvera confronté à un dilemme existentiel qui le marquera à jamais.
Ce second opus clôt la série Le peuple des endormis librement inspirée du roman de Richaud « La ménagerie de Versailles ». Si l’époque est celle du Roi Soleil, l’esprit est celui des fables d’un de ses illustres contemporains : Jean de la Fontaine. A travers ce prisme, de multiples thèmes sont abordés avec cette approche si propre à Tronchet alliant avec un savant dosage humour et gravité. Les rapports humains sont exposés sous toutes les coutures : bassesse, incompréhension, poids de la hiérarchie, mais aussi la folie aveugle de l’un qui peut mener les autres à leur perte. Le père et son absence, sujet qui occupe une place importante chez l’auteur, remplacé ici par cette espèce de fou inconscient, mais aussi attachant par son enthousiasme permanent, auquel Jean s’accroche comme à une bouée. La vengeance du mari trompé, les débats sur une certaine utilité de la poésie, les fortifications selon Vauban, des parties de jambes en l’air et l’art du taxidermiste viendront aussi parsemer ce périple.
Le dessin de Tronchet, si singulier et expressif en ce qui concerne les visages, sert avec efficacité les dialogues et les situations. Son coup de crayon exacerbe les caractères, les pensées des protagonistes, ce sourire quittera-t-il un jour le visage du marquis... Enfin, il serait injuste de ne pas citer le travail d’Hubert à la mise en couleur, l’usage et la variation des tons siéent avec pertinence à l’ambiance des différentes phases de l’histoire.
Ce dyptique constitue une véritable bouffée d’oxygène et ne ressemble à aucune autre BD. Particulièrement équilibré, ce deuxième tome donne toute sa cohérence à l’ensemble et, cerise sur le gâteau, le final est à la hauteur de ce formidable récit.