J
ean est un jeune homme a peine sorti de l'adolescence. Élevé par sa mère et son précepteur dans les grands principes de la religion chrétienne, il vit dans l'angoisse perpétuelle des pêchés et de l'enfer, celui de Dante qu'elle lui raconte au coucher. Heureusement un soir, son père l'emmène découvrir le peuple des endormis, ces animaux empaillés et très prisés à la cour du Roi. Des évènements tragiques conduisent Jean à suivre le Marquis de Dunan en partance pour l'Afrique. Il pourra mettre à profit son talent de dessinateur pour croquer toutes les créatures qu'ils rencontreront.
Lorsque l'on ouvre un album de Didier Tronchet, on s'attend plutôt à un humour au premier degré à l'image de Jean-Claude Tergal ou Raymond Calbuth notamment. C'est oublier le cynique Houppeland et plus récemment l'émouvant Là-bas. C'est plutôt du côté de ces deux derniers qu'il faut regarder en abordant Le Peuple des Endormis, adaptation du roman éponyme de Frédéric Richaud.
Avec cet album, Tronchet entraîne le lecteur dans les caves humides et mystérieuses du Paris du XVIIe siècle au milieu de ces animaux à la fois morts et tellement vivants. Il narre le début d'une épopée, celle d'un jeune homme parti pour l'Afrique à la rencontre de son destin. Ses aventures sont celle d'un adolescent devenant un homme en parcourant le monde à la rencontre de peuplades différentes, et en découvrant l'amour. Le récit est rocambolesque, insensé et dépaysant, digne des romans de Stevenson. Ce premier tome peine à démarrer, les pages d'introduction y sont sombres, voire pathétiques au regard de la triste vie menée par Jean. Puis le rythme s'emballe et l'on se retrouve à la fin, agréablement surpris de s'être laissé emporté dans ce voyage dépaysant, et forcément un peu frustré car cette dernière case annonce une suite plus palpitante.
Tronchet est fidèle à son style : le trait y est épais et ses personnages possèdent de vraies gueules, souvent disgracieuses. Qu'ils soient ronds, pointus ou écrasés, les nez sont sa marque de fabrique. Pourtant, loin des vérités historiques, il dépeint avec une certaine justesse les caves lugubres de Paris, les trois-mâts ou encore la vie des colons en Afrique noire. Une belle réussite car son style n'était pas a priori le plus évident pour ce type de récit.
Le Peuple des Endormis offre cette facette d'un auteur capable d'illustrer des aventures à l'humour gras et des histoires à la plaisanterie plus fine. Cette adaptation est assez réussie et le second tome devrait confirmer cette impression
Les avis
toine74
Le 19/10/2008 à 15:45:44
Le peuple des endormis raconte l'itinéraire du jeune Jean, artiste et empailleur, qui, à la mort de son père, s'embarque sous les ordres du fantasque Monsieur de Dunan pour l'Afrique... Nous sommes au XVIIème siècle et Louis XIV règne... L'histoire originale est un roman de Richaud que Tronchet a adapté en BD. C'est un récit initiatique classique (Jean, tel Candide, découvre la réalité de la vie et le monde).
Qui dit adaptation dit choix, car il est impossible de retranscrire l'intégralité d'un roman en images. Le résultat ici est une BD un petit peu bancale, la narration souffrant beaucoup du passage de l'écrit au mode BD, par moment on a un peu l'impression d'avoir affaire à une succession de moments plutôt qu'à un récit suivit.
Mis à part cette observation, Le peuple des endormis est une excellente BD. Tronchet a eu visiblement beaucoup de plaisir avec ces personnages. Jean s'ouvrant à la triste réalité du monde (annonçant les Lumières), Moïse le garde-du-corp sénégalais hilare et surtout Monsieur de Dunan, une espèce de Munchausen coureur de jupon n'hésitant de pas à inculquer les principes de Vauban à un roi sénégalais pour se protéger d'un mari en colère. C'est drôle, grinçant et terriblement sombre en même temps. Pas étonnant que cette histoire ait séduit Tronchet tant elle reprend d'éléments cher au créateur de l'illustre Raymond Calbuth (l'explorateur en appartement) : l'enfance innocente car coupée de l'extérieur, l'illusion de la grandeur (et le ridicule de ceux qui la pourchasse) et le rire ce premier et dernier rempart face à l'horreur du quotidien passé ou présent.
Au dessin, tant l'Afrique de Là Bas était lumineux tant Le peuple des endormis est sombre. Ce traitement renforce le ton grave de l'histoire. Le trait caractéristique de Tronchet est efficace (Tronchet c'est Tronchet on aime ou on n'aime pas à chacun de voir :wink: ).
Mise à part une narration un peu spéciale (adaptation oblige), le Peuple des Endormis est un excellent dyptique qui mérite entièrement sa place chez Aire Libre.
edgarmint
Le 25/09/2006 à 19:40:16
ATTENTION !!! Si j'ai eu une inquiétude en lisant en preview dans Bodoï la première partie du "peuple des endormis". Je ne retrouvais peut-être pas ce que j'attendais d'un Tronchet. Je viens de relire l'ensemble et j'en ressors tout content.
Il ne faut pas, à mon avis, s'en tenir à ce que pourrait laisser présager un premier tier assez sombre il est vrai. Il s'agit juste d'une mise en place d'une époque et de personnages. Les deux autres tiers nécessitent cette mise en bouche. On y retrouve notre Tronchet dans ce qu'il a de meilleur : humour (mesquineries du quotidien), tendresse (un enfant sans attache qui se laisse porter par les évènements) et grandeur relative (comme dit Tronchet un des personnages est "une espèce de Raymond Calbuth du XVIIème siècle).
Après "ma vie en l'air" qui me laissa plus ou moins sur ma faim... Je pense que les amateurs de Tronchet auraient tort de rester sur l'impression que peuvent laisser les premières pages... La suite est excellente et cette BD pourrait bien être une des bonnes surprises de l'année, un peu comme le fût "Là-bas" il n'y a pas si longtemps.
La cloche du gouverneur peut donc sonner DOONG DOONG DOONG