Info édition : Premier roman graphique d’une jeune auteur allemande de 27 ans, Petite terrienne est une révélation. Aisha Franz fait avec brio la description du monde des jeunes filles en fleurs dans un ambiance étrange où le malaise s’insinue progressivement.
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Titre original : Alien
Traduction de Jörg Stickan, lettrage de Hélène Duhamel
Résumé: Que se passe-t-il quand soudain la gravité de la vie nous rattrape, sans nous laisser le moyen de se cacher ? Quand peu à peu la réalité, que nous craignons tant, finit par écraser nos rêves, ne nous laissant qu’un vague souvenir ? Nous nous retrouvons pris dans le cours des événements sans pouvoir avancer ni reculer, et finissons par ne plus distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas.
Avec un sens aigu du non-dit Aisha Franz dessine la vie quotidienne d’une mère célibataire et de ses deux filles dans une petite ville allemande. La cadette fait la rencontre d’une créature extra terrestre peut-être imaginaire. Au même moment, la fille aînée vit ses premières expériences sexuelles avec un garçon sensiblement plus âgée qu’elle, et leur mère dépressive revit en boucle toutes les occasions manquées de sa vie. La petite réagit à un sentiment croissant de solitude et d’isolement, en accueillant en secret dans sa chambre cette étrange et silencieuse créature transparente qui va l’accompagner au cours de ses premiers émois.
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lantées à la lisière des champs, des rangées maisons identiques, sans charme, accolées les unes aux autres. Dans l’une d’elle, trois femmes, ou plutôt une mère et ses deux filles. Perdue dans son ennui, la petite dernière voit passer à sa fenêtre un ballon porté par le vent, un de ceux auxquels sont accrochés des messages. L’aventure guette, elle court après, l’attrape… « Celui qui lit ça est un con ». Ite missa est, retour à la case départ, à l’ennui, à l’errance de l’esprit.
Derrière les murs de cet home sweet home, une femme est confrontée à sa pitoyable existence et se débat avec les fantômes d’une autre époque qu’elle n’arrive plus à exorciser, une adolescente prend conscience de sa banalité et s’accroche aveuglément à tout ce qu’elle conçoit comme potentielle échappatoire. Dans cet univers propice à l’épanouissement, la fillette s’invente un ami imaginaire avec lequel elle fait joujou, mais qui se révèle un rien déconcertant et ne lui apporte pas nécessairement ce qu’elle attend. Sait-elle seulement ce qu’elle attend ?
Entièrement dessiné au crayon de bois, à la manière de Frances Joanna Hellgren, mais moins porté vers une quelconque recherche esthétique, Petite terrienne sonde les tréfonds du mal-être et cette faculté à chercher son salut en dehors de la réalité, dans un passé remodelé, dans un futur fantasmé ou, encore, dans un présent fabulé. Que ce soit à la maison ou ailleurs, les trois femmes se heurtent aux quatre murs de leur solitude, fort bien matérialisés par la rectitude quasi immuable des gaufriers, à la fois discrets et omniprésents, qui régissent majeure partie des planches. Dire que l’atmosphère est grise est un euphémisme, cela d’autant plus qu’aucune d’entre elles n’est tout simplement capable d’entendre la détresse des autres, chacune étant bien trop préoccupée par son propre malheur qu'évoquent de longues séquences silencieuses. Au mieux, les échanges provoquent des étincelles.
Aisha Franz, auteure allemande dont c’est ici le premier album publié en France, parvient à restituer avec précision les affres du repli sur soi, cette propension que peut avoir L'Être déprimé à s’isoler dans son malheur et sa vérité. Elle appuie avec la précision du chirurgien là où ça fait mal pour en saisir tout le suc. C’est peut-être pour cette raison, parce que cette bande dessinée est très dure dans ce qu’elle peut remuer chez le lecteur, que la fin se veut apaisante, comme un retour dans la normalité. Celle-là même qui, pour tout dire, n'avait jamais été vraiment quittée autrement que dans la tête des protagonistes de cette tranche de vie.