Résumé: Sur un scénario bien ficelé et émouvant de Rodolphe, Marcelé nous retrace les mésaventures d'un équipage de vaisseau spatial contraint d'atterrir sur une planète inhospitalière.
Trois malheureux voyageurs de commerce bourlinguant à bord d'une navette de commerce hors d'âge ses scratchent sur une petite planète. En vain, il demandent de l'aide aux autochtones. Mais tous les évitent ou font semblant de ne pas les voir. Dans quel drôle de monde sont-ils tombés ?
L'équipage d'un vieil Isolboc 54 fait du cabotage dans la constellation d'Orion. Il livre un peu de tout dans les planètes à l'écart des routes commerciales. Georges le patron à bord, a recruté un pilote expérimenté, Ron, et une agent commercial, Sylvie, qui ne le laisse pas indifférent.
Vers la fin de leur tournée, des astéroïdes endommagent leur vaisseau spatial. Ils doivent se poser pour réparer sur Caltus, une planète qui vit en quasi autarcie, absente de leurs bases de données commerciale. Elle ne semble pas avoir de base pour se poser.
Malheureusement, le site d'atterrissage choisi par l'équipage s'avère piégeux. Le vaisseau s'écrase dans une zone inhabitée.
L'équipage sain et sauf part donc à la recherche de secours sur une planète dont ils ne savent quasiment rien. La nature y est assez hostile, mais la rencontre avec ses habitants est des plus étranges...
Georges et Sylvie se retrouvent rapidement isolés et confrontés à l'indifférence ou l'animosité des habitants du bourg qu'ils ont réussi à gagner.
Il fallait ce dessin onirique de Marcelé pour illustrer cet énigmatique récit de Rodolphe.
La prédominance des gris, des noirs dégradés, accentuent la dimension métaphysique de cette histoire de SF en apparence classique : un vaisseau spatial se crashe sur une planète inconnue aux habitants mystérieux ...
Le trio de rescapés va passer dans un autre monde, et cette rupture est soulignée à deux reprises par une page entièrement noire. Ce procédé reste une audace qui nourrit intensément l'imagination du lecteur : ce noir symbolise -t'il un temps d'inconscience, un oubli, une menace ?
Si les survivants du crash disparaissent sans explication serait-ce parce qu'ils sont déjà morts ? L'impossible rencontre avec les habitants de la planète a t-elle pour origine leur religion mormone, et leur croyance en un monde d'esprits post-terrestres ?
Au-delà des péripéties de cette aventure nous sommes bien ici en présence d'une interrogation intemporelle qui m'a rappelé celle du "Madrapour" de Robert Merle.
Ce domaine du récit post-mortem est présent dans la littérature, le cinéma, et la bande dessinée ( comment oublier les troublants "Contes démoniaques" d'Aristophane ?). L'album de Marcelé et Rodolphe prend toute sa place dans ce registre, avec de belles réussites graphiques comme ce visage extatique de Shirley qui exprime la jouissance féminine (une scène torride traitée avec pudeur, c'est rare).
Une planche à clé montrant un vol d'oiseaux blancs sur fond noir et noirs sur fond blanc nous ouvre sur le délitement de la conscience, qui est un des ressorts du récit ... il existe donc une double lecture, voire une invitation à une re-lecture parvenu à la planche finale : les auteurs y livrent une explication, sans fermer les autres pistes menant vers l'inéluctable fin.
Jean-François Douvry