Résumé: Comme beaucoup de jeunes de son âge, Sydney se pose beaucoup de questions, car elle ne se reconnaît pas du tout dans le monde qui l’entoure. À quinze ans, elle est plutôt grande, fine et réservée, la puberté ne lui a pas fait de cadeaux. C’est dans une banlieue pavillonnaire qu’elle habite seule avec sa mère et son petit frère depuis la mort de son père. Elle a le béguin pour Dina, sa voisine et meilleure amie qui lui préfère les abrutis finis du lycée. Pauvre Sydney commence comme une sitcom à l’américaine, mais il n’en sera rien. Sydney n’est pas tout à fait une adolescente comme les autres. À la demande de la conseillère pédagogique de son lycée, elle se raconte dans son journal intime ; ses amours, ses premières expériences sexuelles, son entourage, ses frustrations, mais aussi son énigmatique pouvoir métapsychique qui lui en fait voir de toutes les couleurs.
C’est à la première personne que Charles Forsman dresse un portrait tendre et sensible, mais forcément pessimiste d’une jeune femme en prise avec la dépression. En plaçant les lecteurs dans une situation d’empathie pour son personnage, il les expose à une violence tragique que les manifestations du fantastique exalteront. Pauvre Sydney affiche une véritable rupture entre son style graphique tout en rondeur, hérité des classiques du comic strip américain, et les évènements dramatiques que l’auteur fait subir à son personnage.
Après The End of The Fucking World, récemment adapté en série par Netflix, Charles Forsman poursuit son exploration dans l’univers des freaks, des misfits et de tous les adolescents qui ne rentrent pas dans le moule.
Traduction de I’m not Okay with This paru chez Fantagraphics en 2018.
C
omme beaucoup d'adolescents, Sydney se sent mal dans sa peau. Elle est trop grande, trop maigre, a des boutons et ressemble à un garçon. En plus, sa meilleure copine traine avec un type violent qu'elle ne peut pas saquer. Ce n'est pas auprès de sa mère qu'elle trouvera du réconfort, celle-ci reste engluée dans la perte de son mari. Pour couronner le tout, les autres lycéens se moquent d'elle, alors elle trouve un certain échappatoire dans l'herbe de Stan et dans les bras de Ryan, une barmaid qu'elle connait à peine. Pour faire plaisir à la conseillère de son école, elle couche dans un journal ses tourments, ses hésitations et ses frustrations, bref, sa vie quoi.
Avec une impressionnante sobriété, Charles Forsman (The End of The Fucking World, Hobo mom) brosse le portrait d'une jeune Américaine qui, finalement, symbolise à elle seule l'universel et profond malaise que beaucoup de teenagers éprouvent. L’histoire de Sydney est tellement ordinaire, elle se cherche, voudrait combler le vide et tuer l'ennui qui l'habitent, et enfin, trouver un sens à son existence. Le lecteur assiste à sa quête identitaire et ressent sa déprime. Chaque épisode laisse apparaître des indices de cette dépression subtile et puissante. Avec acuité, l'auteur décrypte l’origine des errances, des démons et de la confusion des sentiments. La force du scénario se révèle dans le décalage entre les situations dramatiques et le détachement du ton du texte, faisant naître le trouble, mais, pas d'apitoiement, juste de la tendresse et de la compréhension.
La partie graphique est un modèle de simplicité et d'efficacité : des gaufriers de quatre, deux ou une seule cases, du noir et blanc et un décor dépouillé. L'artiste figure des ronds pour les têtes, des points pour les yeux et des membres allongés. Ainsi, l'héroïne a des airs Olive, la femme de Popeye, avec sa silhouette élastique et son petit bout de nez.
Pauvre Sydney illustre parfaitement cette période de doute et parfois de souffrance qui étreint tout à chacun au sortir de l’enfance. Sous son apparence anodine se cache une tempête d'émotions.