Résumé: Pastorius Grant est un vieux chasseur de primes sans pitié, désabusé et mourant. Alors qu'il tente de capturer un hors-la-loi qui s'est réfugié dans une réserve indienne, il croise la route d'une gamine aveugle et de son cochon. Avant de mourir, son père lui a dit de trouver Grant, et de l'engager pour le venger de son meurtrier... Pour son premier roman graphique chez Dargaud, Marion Mousse a choisi la couleur directe pour retranscrire la beauté formelle de la nature et faire ainsi écho aux tourments de son protagoniste. Un western psychologique intense, brutal, en cinémascope.
D
eux frères, Tavez et Porti, chasseurs de primes de leur état, traquent Pastorius Grant. Celui-ci est lui-même sur la piste d’un certain Big Hand. 5.000$ ont été mis sur sa capture. Ces mines patibulaires évoluent à proximité d’une réserve indienne, dont on ne sait pas très bien si elle abandonnée ou non, au creux de montagnes désertiques et hostiles. Grant est vieux et malade. Sa toux rythme sa marche. Déboussolé, assis sur un rocher, il charge son colt et en applique le canon sur sa tempe. Son geste est arrêté par l’arrivée traînante d’un chien pouilleux et décharné, qui disparaît aussitôt. Grant l’a reconnu et reprend sa chasse. Ayant mis la main sur Big Hand, il s’apprête à prendre la direction de Christfield, afin de toucher l’argent promis. C’est alors qu’il tombe sur Annabelle Hope, une petite fille aveugle, accompagnée d’un cochon. Sans ambages, elle lui demande de venger son père. Grant ne lui témoigne que du mépris, mais ne sait pas encore que cette rencontre va changer sa destinée.
Marion Mousse (From outer space, Fracasse), scénariste et dessinateur, s’essaie, avec Pastorius Grant, à un genre qu’il n’avait pas encore abordé, le western. Il le prend dans son essence, le débarrassant de tout oripeau superflu, à l’os, c’est-à-dire avec peu de personnages, en confrontation les uns avec les autres, chacun suivant sa propre quête, au cœur d’une nature rude. Ici, tout le monde se traque mutuellement : les êtres humains, les animaux, les éléments naturels, Dieu. Entre vénalité, rédemption et vengeance, c’est à une danse morbide que se livrent les personnages, dont aucun ne peut être qualifié de héros. Dans Pastorius Grant, il y a davantage de bassesse que de nobles sentiments. Ce monde est rêche et sans concession. Chacun défend sa peau et tâche de récupérer celle de l’autre.
Ce récit, parfaitement mené, est, de surcroît, mis en image avec un parti pris radical et une identité graphique affirmée. À grands coups d’à-plats de teintes vives, sans contours, Marion Mousse fait surgir des silhouettes désarticulées, des mines effrayantes et, surtout, une nature omniprésente, envahissante, écrasante. Le rythme est lent, les protagonistes peu bavards, laissant la place à de nombreuses pauses contemplatives, à moultes cases muettes. Les sous-bois et les parois rocheuses, avec peu de perspectives, font éclater leur poésie inquiétante. Les contrastes entre les lumières vives et la pénombre, ainsi que les couleurs exacerbées, constituent un écrin parfait à la tension narrative de l’album. Marion Mousse livre là une œuvre originale, subtile et marquante. Sous aucun prétexte, il ne faut passer à côté de la déchéance attachante de Pastorius Grant.