Résumé: Lorsque Jonas aura douze ans, il se verra attribuer, comme tous les enfants de son âge, sa future fonction dans la communauté.
Dans le monde où vit Jonas, la guerre, la pauvreté, le chômage, le divorce n'existent pas. Les inégalités n'existent pas. La désobéissance et la révolte n'existent pas.
Jonas ne sait pas encore qu'il est unique...
L'harmonie règne dans la communauté. Les cellules familiales sont constituées avec soin par le comité des sages. Les personnes trop âgées, ainsi que les nouveau-nés inaptes sont déliés , personne ne sait exactement ce que cela veut dire.
Dans la communauté, une seule personne détient véritablement le savoir : le Receveur de Mémoire. Lui seul sait comment était le monde quand il y avait encore des animaux, quand l'oeil humain pouvait voir les couleurs, quand les gens tombaient amoureux.
Mêlant science-fiction et philosophie, Lois Lowry signe un roman envoûtant d'une incroyable densité, dans un style très particulier, où les genres cohabitent. La réflexion profonde, intelligente et sensible du récit original est ici parfaitement retranscrite dans l'adaptation de P. Craig Russel.
A
u sein de la Communauté, tout est soumis au contrôle strict des Doyens. Un ensemble de règles précises régente la vie de chacun de ses membres, depuis la naissance jusqu'au déliement. Personne ne sait trop ce que recouvre ce terme, qui n'est jamais discuté ou remis en question. Des "annonceurs" diffusent dans chaque foyer et dans les espaces publics des rappels à l'ordre réguliers et bienveillants. Les contrevenants ne sont jamais pointés du doigt. Pourtant, chacun sait qui s'est rendu coupable d'un manquement. La discipline est essentielle pour assurer l'harmonie de la société et les personnes convaincues de transgressions répétées sont déliées, quoi que cela veuille dire.
Les familles sont également composées selon une méthode précise. Certaines femmes sont désignées pour enfanter trois bébés en trois années. Sauf déliement, cinquante naissances sont autorisées. Les couples sont constitués en fonction des caractères et affinités des partenaires. Les bambins sont ensuite élevés par des nourriciers avant d'être assignés à des "parents" lors de l'une des nombreuses cérémonies qui marquent le passage des ans. À chaque âge correspond une célébration qui s'accompagne d'une avancée symbolique. À neuf ans, chaque enfant reçoit son vélo. À dix ans, les filles perdent leurs tresses et les garçons coupent leurs cheveux, et ainsi de suite. Le changement le plus important a lieu à douze ans. Chacun est alors informé du travail qui a lui été assigné par le conseil et pour lequel il sera formé.
Madeline sera assistante au vivier des poissons, Asher directeur adjoint des récréations tandis que Fiona sera soignante pour les vieux. Pour Jonas, ce sera différent. Il le soupçonne lui-même, mais il n'est pas comme les autres. Il reçoit donc une affectation très spéciale. Il sera receveur de mémoire. Il n'y en a qu'un par communauté. Son rôle est mystérieux et n'est pas soumis aux mêmes obligations que les autres. Cela fait bien longtemps que celui qui occupe ce poste est en place. Il est plus que temps de former son successeur. La tâche sera d'autant plus complexe qu'une précédente candidate a échoué voici bien des années.
Craig T Russel adapte le roman de Lois Lowry, premier tome d'une tétralogie qui interroge un futur hygiéniste dans lequel une humanité s'est enlisée dans une apathie aseptique et amnésique. Cette société qui s'imagine parfaite est bâtie sur un mélange d'illusion de liberté et de confort, conjugué à un contrôle totalitaire affectant le langage, les sentiments et les pulsions les plus intimes. L'autrice combine le pire d'Aldous Huxley et George Orwell pour construire une vision d'un monde idyllique en apparence et pourtant étouffant. La grande force de cette adaptation porte sur le travail graphique réalisé par P. Craig Russell qui parvient à traduire ce totalitarisme qui dissimule ses aspects les plus inhumains sous une façade rassurante. Le trait est classique, alternant cases épurées et d'autres caractérisées par un grand soin apporté aux décors. La couleur y est utilisée de manière à souligner les moments-clés de la narration, s'appuyant sur des touches intelligemment distillées. Quant au scénario, il joue habilement sur les non-dits, introduisant une foule d'informations de manière indirecte visant à mettre d'autant plus en évidence l'oppression qui écrase ce microcosme faussement accueillant. Le Passeur s'impose comme un excellent titre pour les amateurs de dystopie, alliant un concept original et une réalisation de très bonne facture.