I
ls s’appellent Farid, Dawa, Élias, Ryan, Tino, Abdel. Issus de la cité, ils sont habités par elle autant qu’ils y vivent. Tout est bon pour s’y faire une place, s’y imposer, ou en franchir les limites. Substances illicites ou arnaques, le business n’attend pas. Et tant pis s’il mène derrière les barreaux, peinant la mère et déroutant le daron, car, après tout, avec les bons contacts, les murs de Fleury-Mérogis sont perméables. Quant à Karima et Norane, elles n’ont guère plus de choix. L’une a choisi de négocier ses charmes avec des hommes riches pour s’offrir une vie de luxe loin des tours ; l’autre a fait taire son côté rebelle pour convoler selon la tradition.
En 2018, la grand reporter Manon Quérouil-Bruneel et Malek Dehoune, un gosse d’immigrés né à Aubervilliers, publiaient La part du ghetto chez Fayard. À travers les témoignages de quelques personnes issues des quartiers difficiles, ils brossaient un tableau actuel de ces banlieues souvent décriées. Éric Corbeyran et Yann Dégruel se sont emparés de l’ouvrage pour en livrer une version en bande dessinée, parue en septembre 2020 dans la collection Mirages des éditions Soleil.
Les sept récits de vie se déclinent sur le même mode ; ils sont portés par une voix-off qui décrit la situation de chacun dans les grandes lignes et sont ponctués de quelques dialogues qui campent chacun à tour de rôle. Le discours reste factuel, sans concession, ni jugement, préférant montrer une réalité crue qui, par moments, dérange et laisse un arrière-goût amer. Il est question de drogue, de violence, de combines, de taule, de l’absence de perspectives réellement honorables pour un certain nombre ; Islam et culture s’y glissent pour souligner le décalage, la fracture et révéler que même le Hajj est devenu un moyen de « faire de la maille ». Puis, il y a les femmes ; deux portraits pour deux uppercuts : la prostituée et celle qui rentre dans le rang. Et derrière elles, celles qui ne sont qu’évoquées : les mères inquiètes pour des fils trop absorbés par leurs affaires, des petites copines entubées, des filles utilisées pour faire du blé…
Enrobant et portant l’ensemble, le dessin croque des tronches, un peu figées dans ce qui ressemble à une suite d’instantanés. Le format ne permet pas de s’arrêter sur la moindre expression et préfère jouer sur les décors et l’ambiance. Ainsi, les planches baignent dans la grisaille, celle d’un ciel qui paraît constamment couvert, celle qui suinte des murs et colle à la peau de protagonistes, celle d’une vie en demi-teinte aux (trop) rares éclaircies. Le tout fonctionne bien et fait de cette Part du ghetto un album à lire afin d’appréhender davantage cette réalité sociale.