Le 02/10/2024 à 15:17:04
Avec un sens du timing assez terrifiant, ce récapitulatif didactique de l’inextricable bourbier moyen-oriental arrive dans nos librairies au moment où les fous de guerre qui dirigent l’Etat israélien semblent décidés à régler une fois pour toute l’ensemble des problématiques engendrées par la disparition de l’Empire Otoman puis par la survenue du foyer juif sur cette mosaïque de peuples séculaire. La qualité première de cette tentative (et pas des moindres!) est de rester concentrée sur le sujet syrien, tant l’actualité aurait tendance à nous faire oublier que le régime de Damas reste l’un des régimes les plus stables de la région. De façon absolument sanglante mais néanmoins stable. De l’Irak, de la Libye, d’Israël et du Liban bien sur on entend parler régulièrement. De Bachar Al-Assad un peu depuis la guerre civile commencée en 2011. Mais cette dynastie semble étonnamment capable de se faire faire oublier, de se fondre dans le décors d’une normalité barbare mais qui sait parfaitement tenir compte du bruit du monde pour disparaître parmi les autres dictateurs qui parsèment la planète. Revenant à l’origine de l’Etat syrien et les choix des colonisateurs de promouvoir certaines minorités, l’album rappelle aussi que pour une fois tout ne viens pas des européens et que les équilibres de puissance au sein de l’Empire Otoman joueront au moins autant que le finalement court mandat franco-britannique après les célèbres accords Sykes-Pikot. On revient en somme à la responsabilité des occupants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans… La partie graphique est assez minimaliste, Nicolas Otero travaillant principalement sur des photographies retouchées, appuyé par sa femme sur les couleurs. On comprend l’économie de temps par rapport à des planches classiques, même si l’aspect BD en souffre, faisant de ce Paris-Damas un objet plus proche du reportage La Fissure que d’un véritable album séquentiel. L’album commence par un descriptif de l’ascension vers le pouvoir d’un ambitieux militaire de la minorité alaouite qui sut s’appuyer sur l’efficacité soviétique dans un contexte de Guerre Froide pour, très tôt, ambitionner la recréation d’une Grande Syrie incluant le Liban. Arrive vite le cœur du sujet avec l’explosion des attentats en France comme mode opératoire de pression diplomatique. Se souvenant des années sanglantes et du nombre d’attentats que les drames de 2015 nous avaient presque fait oublier, on réalise la faiblesse des puissances occidentales face à la menace terroriste, a fortiori quand elle est utilisée par un Etat dont on attend des avantages économiques sur place. Jean-Claude Bartoll nous relate ainsi (beaucoup au style narratif mais il n’oublie pas de scénariser d’hypothétiques échanges entre chefs d’Etat et dirigeants des services de renseignement pour justifier le format BD). La course entre attentats plus ou moins directement commandités par Hafez Al-Assad (en instrumentalisant la lutte des Palestiniens ou directement en employant le terroriste international Carlos) et les représailles des opérations noires de la République française nous laisse sans voix tant l’écart entre le vernis journalistique actuel et la réalité crue est abyssal. Les frasques de Nicolas Sarkozy sont les dernières à nous rappeler combien cette sale géopolitique était habituelle à l’époque. En suivant chronologiquement les luttes internes dans la famille et l’inattendue arrivée au pouvoir de celui qui se voyait médecin à Londres, l’album parvient à nous tenir la tête hors de l’eau, tant les explications internes, historiques, religieuses, sont multiples et complexes. Et l’on comprend pourquoi il est très difficile d’expliquer les soubresauts meurtriers dont le Liban est victime depuis toujours. A la fois détaillé et synthétique, l’ouvrage de Bartoll et Otero a nécessité un sacré travail documentaire, en témoigne l’importante bibliographie indicative en fin d’album. En refermant l’album on reste marqué par l’inefficacité des puissances occidentales face à une détermination froide, amorale des Al-Assad, et par la permanence de deux abcès géopolitiques: la Syrie qui occupe et dirige de facto le Liban depuis plusieurs décennies et l’occupation israélienne du Liban, du Golan et des territoires palestiniens qui créent une tension géopolitique et militaire permanente. Et on remercie les auteurs pour ces rappels ardus mais très didactiques sur un régime plus influent qu’il n’en a l’air. Lire sur le blog: https://etagereimaginaire.wordpress.com/?p=38886BDGest 2014 - Tous droits réservés