Résumé: Que peuvent bien avoir en commun une petite fille à qui l’on confisque sa barrette, un étudiant qui manque de vocabulaire, un écrivain primé dont la machine à écrire n’en fait qu’à sa tête, une femme de ménage qui essaie les chaussures de sa patronne ou un flic qui aime les cigarettes américaines ?
De faits réels en contes tragi-comiques, L’ours de Ceauşescu dresse le portrait d’une dictature terrible et absurde et d’une humanité pas toujours héroïque, en sept tableaux qui montrent combien le diable se cache dans les tout petits détails...
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ucarest, 21 décembre 1989. Irina est arrêtée et conduite au commissariat. Petit à petit s’ajoutent un clown, un poète, une femme de ménage, un étudiant, etc. Bref, des citoyens lambdas n’ayant rien en commun. Chacun se souvient d’avoir défié la loi ou fait un pied de nez au régime, mais rien de vraiment important. Ils sont sept et ne comprennent pas pourquoi ils sont là. Au même moment, à près de deux mille kilomètres au nord, le mur de Berlin s’effrite et Moscou hausse les épaules.
Aurélien Ducoudray signe un récit choral fascinant. Chacun des segments de L’Ours de Ceausescu présente une tranche de la vie d’un des détenus susceptible d’expliquer son sort. À travers ces portraits, le scénariste trace les contours d’une époque et ceux d’une société sous le joug d’un dictateur. L’aura du potentat se révèle omniprésente ; l’auteur choisit toutefois de le dissimuler, sauf dans un chapitre final où il ridiculise l’homme d’État dont les supposés exploits à la chasse à l’ours ne trompent personne.
Dans cette histoire aux accents ubuesque, les crimes reprochée vont dans tous les sens, par exemple lorsqu’une machine à écrire remplace les points d’exclamation par des points d’interrogation, ou encore quand un type rate son entretien d’embauche pour la police en raison d’un vocabulaire scatologique déficient.
La construction rappelle celle de Dix petits nègres d’Agatha Christie ; à cette différence que la clé est dans la somme des personnages, alors que c'est l'inverse dans le roman de la Britannique. La mystification demeure au rendez-vous et la chute surprend agréablement.
Gaël Henry propose un dessin charbonneux, un peu relâché et agréable. Si l'illustrateur n’est pas un virtuose, il sait néanmoins aller à l’essentiel : ses acteurs sont expressifs. En quelques coups de crayon, il traduit les émotions qui les habitent, généralement un mélange de crainte, d’incompréhension et de culpabilité.
Voici la fin du communisme racontée avec beaucoup d’intelligence.