Résumé: Le drame Ouïghour...
J'étais là quand les premières grandes manifestations ont été réprimées dans le sang.
C'était en 1996, il y a 25 ans. Je débutais alors dans le journalisme.
À l'époque, le monde entier ne se sentait pas concerné par cette minorité turcophone de Chine. J'étais là aussi quand les Chinois ont commencé à stériliser de force les femmes Ouïghoures. Et puis, j'ai vu les camps de prisonniers se dresser dans le désert et la mise en place de ce qui deviendrait un génocide culturel.
Alors, j'ai promis à ces Ouïghours de ne pas les laisser mourir dans le silence et l'indifférence. J'y suis retourné encore et encore. Avec cette question qui reste coincée au fond de la gorge : jusqu'où peut aller un journaliste pour se rendre utile ?
L
e nom de ce peuple a fait le tour des JT et des Unes à l'échelle planétaire, avant d'être relégué au troisième plan par de nouvelles horreurs de l'actualité. Malgré un récent rapport de l'ONU qualifiant de génocide l'action du gouvernement de Beijing , le sort des Ouïghours ne semble plus intéresser l'opinion publique internationale. Pourtant, depuis le milieu des années 1990, un journaliste français, Éric Darbré, a tenté de mieux faire connaître cette minorité. Avec cet album, il poursuit ce noble objectif tout en livrant un regard critique sur le fonctionnement des sphères médiatiques.
Le point de départ est une rencontre avec une jeune fille dans la rue qui porte une coiffe de ce peuple. Le récit se met alors en pause avant de remonter le temps, comme une VHS, pour arriver en 1996. À cette date, Eric est un pigiste débutant qui va rencontrer, par hasard, deux leaders politiques ouïghours, dont Dolkun Isa. D'ailleurs, c'est le seul nom de responsable qui est authentique dans cette bande dessinée. Le choix a été fait de changer un maximum de patronymes afin d'éviter de possibles représailles et autres arrestations diligentées par la République Populaire de Chine. L'album suit une trame chronologique où s'entrecroisent la vie professionnelle du journaliste et celle des réseaux ouïghours en Chine et à l'étranger.
Cette articulation rend la lecture passionnante et haletante ,et, ainsi les nombreuses informations sont savamment distillées au fur et à mesure des planches. Voici la grande force de cet ouvrage : réussir à donner le plus de connaissances possibles sur l'histoire de ce peuple et sur son sort depuis 1996. Il se clôt en juin 2021sur la décision du tribunal d'opinion de Londres qui qualifie de "génocide" la politique de rééducation menée dans cette région du Xinjiang. Entre temps, les lecteurs découvriront les points d'origines de cette extermination et son déroulement, la manière dont Beijing instrumentalise le terrorisme islamique pour justifier sa répression, les liens entre la technique de colonisation par des Han et ceux avec le puissant groupe industriel Chalkis.
Toutefois, le scénariste évite tout manichéisme afin de livrer un exposé le plus honnête possible de la situation. C'est pourquoi, les dérives sanguinaires de certaines mouvances ouïghours sont aussi traitées et expliquées. Ceci constitue le second intérêt de cet album : une envie de coller au plus près de la vérité des protagonistes afin de livrer tous les points de vues. Enfin, le discours sur le fonctionnement des médias est le troisième point fort de ce titre. L'auteur n'est pas tendre, mais il ne crache pas dans la soupe non plus. Il montre comment il est difficile de convaincre des rédactions de publier un sujet peu glamour. Pour ce faire, Éric Darbré passe par l'anecdote, comme celle de la cérémonie des lauriers de la TV en février 2015. Son documentaire n'est pas récompensé mais la sélection lui donne de la visibilité. De ce fait, la directrice de la télévision publique qui l'a financé, reproche au journaliste d'avoir trop bien fait son travail et avoue qu'elle a peur d'être convoquée à l'ambassade de Chine dès le lendemain. En plus de ce genre de moments, le scénariste montre comment l'opinion public est sensibilisée (ou non) à une information, et de ce fait, comment celle-ci peut disparaitre pour revenir des années plus tard.
Ce récit est mis en image par Eliot Franques. Son style de bande dessinée de journalisme colle parfaitement au scénario. Il arrive à trouver des idées originales pour casser le rythme et permettre quelques respirations dans la lecture. Ainsi, quand Eric ou l'un de ses interlocuteurs se lancent dans une explication historique, le style change. Le dessinateur opte pour des doubles pages sans gaufrier et son dessin tend vers une certaines abstraction rappelant la peinture. Il parvient aussi à mettre en image l'horreur et le drame psychologique. C'est le cas quand il met en image un témoin qui raconte les mois passés dans un centre de rééducation. Là, la planche est divisée en plusieurs cases identiques représentant le témoin. Progressivement, au fur et à mesure qu'il se souvient, il perd pied avec la réalité et s’efface, disparaissant de la planche. Le jeu de couleur est parfait, collant avec les différentes ambiances présentes.
Un récit exhaustif et documenté servi par un dessin qui le rend accessible et puissant ! Cette bande dessinée est d'utilité public et mériterait de figurer dans la bibliographie officielle de l'Éducation nationale.
Les avis
Erik67
Le 17/01/2024 à 07:41:19
La Chine, tout comme la Russie, ne recueille absolument pas ma sympathie tant les faits historiques ont démontré une volonté hégémonique de domination sur des peuples autrefois libres afin de les rattacher à leur dictature communiste.
Certes, je connaissais l'invasion du Tibet en 1950 ainsi que l'asservissement de ce peuple pacifique avec le Daila Lama en exil. Je me rappelle également du massacre sans précédent de la jeunesse étudiante chinoise réclamant un peu de liberté au char d’assaut de la place Tien-an-Men en 1989. Puis, il y a eu les récentes répression sur Hong-Kong qui était sous le joug britannique une ville assez libre. Maintenant, il y a la forte menace d'invasion sur la démocratie de Taïwan sans compter sur leur solide amitié avec la Corée du Nord qui déstabilise toute la région. Qui pourra les arrêter ?
Ce que je ne savais pas, c'était l'histoire des Ouïghours du Turkistan oriental qui ont été envahi en 1949 par Mao après qu'il est décimé sournoisement leur gouvernement. Ce beau pays est devenu le Xinjiang, une province chinoise à l'extrême ouest de la Chine qui a été colonisé progressivement.
Les Ouïghours, qui sont un peuple turcophone musulman comme la plupart des pays d'Asie centrale, sont 11 millions à égalité avec les Hans (principale ethnie chinoise). Ils veulent retrouver leur autonomie pour préserver leur culture qui est actuellement menacé. Cela donne lieu à des révoltes mais surtout à une répression d'une incroyable radicalité de la part de la Chine qui cache ses méfaits au monde entier. Nous y étions habitués depuis l'épisode du COVID et leur absence de décès.
Une telle lecture m'a révolté, non pas la BD en elle-même mais ce qu'elle dénonce à savoir un véritable génocide mené par ce grand pays soutenu par une grande majorité de nation ayant besoin de leur financement de l'économie. Le journaliste Eric Debré, auteur de cette BD, a mené différentes enquêtes sur une période de 25 ans en collectant des informations et des preuves totalement fiables.
Il en ressort qu'un million de ouïghours seraient actuellement dans des camps de concentration rebaptisés par le pouvoir politique chinois « camp de rééducation ». Les prisonniers subissent un lavage de cerveau où ils doivent chanter des louanges en faveur du dirigeant de ce pays Xi Jinping et baiser le drapeau chinois sans compter les nombreuses tortures et sévices physiques. C'est d'une immoralité sans nom.
Notre regard est actuellement tourné vers la Palestine. Certes, il n'y a pas d'échelle de souffrance. Le monde entier ignore ce qui se passe réellement dans cette province qui compte plus de 300 camps. Les femmes sont stérilisées de force afin de contenir la population de ce peuple. Quelle sera la prochaine étape ?
Il est vrai que certains partisans de ce peuple ont fréquenté les islamistes radicaux de la pire espèce afin de fomenter des attentats. Ils sont alors qualifiés de terroriste ce qui peut être assez pratique pour justifier des actes de répression.
Alors, oui, c'est une BD qui est très utile afin de connaître un peu mieux ce peuple et ce qu'il vit au quotidien sous l'emprise d'une sanglante dictature. Evidemment, on ne pourra rien faire pour les aider car cela dépend de la diplomatie d'un pays mais on pourra toujours compatir à leur malheur.
Le journaliste auteur de cette BD avoue lui aussi son impuissance face à un tel désarroi. Au moins, il aura permis d'accéder à une foule d'informations intéressantes sur ce sujet délicat. C'est un très beau travail journalistique qui est incroyablement bien reproduit sur le format BD car la lecture demeure agréable grâce à un graphisme clair et lisible ainsi qu'une narration fluide.
A noter qu'il s'agit d'un album qui trône dans ma bibliothèque à titre personnel car curieusement toutes les médiathèques de ma ville ont fait l'impasse sur ce titre.
MathMo
Le 17/12/2022 à 14:32:36
Une BD documentaire très intéressante sur le génocide Ouïghours par le gouvernement chinois, réalisé par un journaliste qui a enquêté sur place tant que cela était possible. Horriblement édifiant…
mediatheque_lannion
Le 18/11/2022 à 11:51:06
Très bon documentaire sur le peuple ouïghours et la répression chinoise, par un journaliste qui mène l'enquête depuis 25 ans.