A
lex, Moudy, Samir et Cheyenne vivent quelque part en banlieue, ou plutôt survivent grâce à des petites combines, comme ceux qui les entourent. Tous, ils récupèrent des trucs dans les ordures, refourguent du matos tombé du camion, vendent des clopes sous le manteau, font un peu de vol à la tire, etc. Il n’y a pas vraiment d’histoire en dehors de cela, de ces expédients qui se succèdent dans un quotidien forcément un peu terne, voire carrément flippant quand ils sont poussés à des extrémités : tapinage, échanges de coups (de poings ou de feu, c’est selon). À se demander où tout ceci s’arrêtera. Parce que ça ne peut que déraper, évidemment. Un malheur ou une injustice de trop, et la coupe est pleine. Entre fuir ou s’entêter, espérer ou renoncer, la différence est de taille.
Il y a dans ces pages un non-rythme qui peut rendre fou, de longues séquences qui semblent suspendre le temps, comme si tout tenait à un fil. Une évolution dans la vie des personnages, aussi. Des rencontres se font, des amitiés se nouent, des idylles se créent, envers et contre tout. Car seul, impossible de s’en sortir. C’est ce que certains découvriront à leurs dépens. Pour d’autres, trouver l’espérance dans les yeux de la personne aimée, goûter à des lèvres chargées d’amour pourra encore donner un sens à la vie. Toute cette tension, cette incertitude est contenue dans un dessin en noir et blanc qui joue sur le contraste, entre force et sensibilité, noirceur et luminosité. Il peut à la fois capter l’instant et précipiter les événements, aussi adéquat pour laisser le regard se poser que pour brouiller les repères.
Puissance et subtilité se mêlent, tant dans le récit que dans les traits d’un duo d’auteurs qui a trouvé le ton juste, celui d’une jeunesse en proie au doute, à la violence, au désespoir, mais qui, en dépit de tout, garde une forme d’instinct de survie, de volonté indomptable. Le résultat est tout simplement beau, intense.