C
ha est une auteure inclassable, et pas seulement à cause de son look punk qui permet de la localiser immédiatement dans un festival BD. Elle se fait connaître par son blog Ma vie est une bande dessinée, lancé en 2003, qui l'amène à être recrutée par la rédaction de Spirou pour tenir la rubrique 33, rue Carambole en compagnie de deux autres blogueuses, Mélaka et Laurel : l'association, aussi improbable que vouée à l'échec, produit tout de même trente numéros avant que la demoiselle ne claque la porte. Depuis, Cha a rarement eu les honneurs des présentoirs de librairie. En 2005 paraît Helpie, album fort sympathique mais où l'univers de l'auteure est quelque peu lissé pour s'adapter à un public "jeunesse" (et un poil girly). Pas suffisamment, apparemment : Delcourt ne tarde pas à annoncer que le deuxième tome, initialement annoncé, ne verra jamais le jour. En 2007 sort Les Allumeuses, un one-shot labellisé KSTR peut-être plus proche de ses préoccupations, mais dont elle ne signe cependant que le dessin. Le reste de la production de Cha s'affiche sur son blog, ou dans le cadre de recueils collectifs (Tous coupables, Du sang sur les murs, Histoires d'enfances, Aaarg... je meurs, tous publiés par ce qu'il est convenu d'appeler de "petits éditeurs"), de magazines et de fanzines comme Psikopat, My Way, Speedball ou Soupir.
Tout ça pour dire qu'il était plus que temps que paraisse un volume où Cha soit pleinement aux commandes et dans lequel tout son talent puisse s'exprimer ! Ce qui est désormais chose faite avec une anthologie regroupant le meilleur de sa production de ces cinq dernières années, ainsi que des planches inédites, le tout élégamment intitulé : Oh ! merde ! et encadré, en guise de parrainage, par une préface dessinée par Bouzard (qui revient sur le double choc esthétique que fut sa rencontre avec elle, et avec son dessin) et par la retranscription d’un entretien avec son idole Didier Wampas et quelques compagnons de table, dont Pixel Vengeur.
Oh ! merde ! alterne histoires courtes et mini-séries. Les aventures de moi... et moi déploient, dans une mise en abyme bien pensée et hilarante, les tribulations de l'auteure avec son double de papier, encore plus provoc' qu'elle, qu'elle ne peut s'empêcher de dessiner, au risque de s'attirer bien des ennuis. Gwenaëlle la baby-sitter se charge d'expliquer à ces gros cons d'enfants les dures réalités du monde de merde dans lequel nous vivons, tandis que la Fée de l'Égalité se charge, elle, de le changer – pour le meilleur... et pour le pire ! Si tu meurs transporte les lecteurs dans un univers d'allure plus SF, à la suite des survivants de mystérieux bombardements. On croisera aussi : un couple embourgeoisé nostalgique de sa jeunesse branchée, les pensionnaires d'un hôpital psychiatrique, un groupe de rock du futur, des vaches revanchardes, des lamas cracheurs...
Bref, Oh ! merde ! c'est un recueil de bric et de broc, de tout et de rien, mais dont la qualité a plutôt tendance à osciller entre le très bon et l'excellent. Car ce qui assure l'unité de cette anthologie, plus encore que quelques thèmes récurrents, c'est un trait dynamique qui n'exclut pas la précision, un bon sens du cadrage, une maîtrise du rythme et du noir et blanc que pas mal de gens peuvent lui envier, un humour affûté (et quelques envolées trash et/ou gore). Gare à qui s'arrêterait à un "cliché" de punkette délurée, militante acharnée de la cause animale : dans la vie comme dans les pages que l'on peut lire ici, Cha excelle à détourner les lieux communs, à emmener le lecteur à l'opposé de ce à quoi il croyait pouvoir s'attendre.
Un recueil fortement conseillé à ceux qui connaissent Cha, à ceux qui ne la connaissent pas, et à ceux qui croient la connaître !