A
l’approche de la fin de Number 5 (ce tome 7 est l’avant-dernier), une constatation s’impose : Matsumoto est un grand dramaturge. On le pressentait déjà dans l’excellent Ping pong, où l’auteur, en travaillant sur le lien unissant Peko et Smile, avait réussi le tour de force de forger une histoire prenante, complexe et intelligente à partir d’une bande d’écoliers qui jouent au tennis de table. Pourtant, cette très bonne série ne nous avait pas préparé à la merveille de construction qu’est Number 5. Si le moindre doute devait subsister quant à la force de ce manga, ce tome 7 le balaie définitivement.
Si le lecteur cherchait une histoire au fond original, il en sera pour ses frais. Number 5, comme la plupart des œuvres de Matsumoto peut très rapidement se résumer à une intrigue banale de trahison, de révolte d’un puis deux fils envers leurs pères, de rivalité entre ces deux fils à propos d'une femme... L’important ne réside pas dans ce synopsis, ni dans la transposition de l’intrigue dans un environnement SF qui, s’il apporte des questionnements intéressants, sur l‘eugénisme en particulier, n’est qu’un enrobage, comme le tennis de table l’était dans Ping pong. Le réel intérêt n’est pas non plus dans la construction atypique du récit, une longe mise en place longue de trois tomes où le lecteur navigue à vue, suivie d’une transition sous forme de flash back et de trois tomes plus linéaires et classique. Toutes ces qualités, bien réelles, font du manga une œuvre attachante, troublante, à la saveur assez unique, mais le cœur de Number 5 se trouve une fois encore dans le travail sur les liens qui unissent tous les personnages du manga, des fils tissés un à un, formant un réseau incroyablement complexe et dense qui porte tout le livre.
Chacune des caractéristiques citées précédemment, ainsi que le dessin si particulier de Matsumoto, l’ironie née du télescopage constant entre scènes dramatiques et reliques superficielles du passé, les symboles omniprésents, tout cela ne sert finalement qu’à ce but : faire des personnages profonds, crédibles, à partir des relations qu’ils entretiennent. C’est en cela que Matsumoto est un grand dramaturge, il est allé au cœur même du récit, en a retiré la substantifique mœlle mieux que la plupart des auteurs actuels tout en ayant su garder les atours d’un très bon manga d’action. Il a ainsi créé un livre protéiforme, possédant de nombreux niveaux de lectures se mêlant en un tout harmonieux et tout simplement beau. Et si le terme de chef d’œuvre est souvent utilisé à tort et à travers pour qualifier des livres qui ne le méritent sans doute pas, il prend tout son sens à la lecture de Number 5.