Info édition : Contient Nomen Omen (2019) #1-5.
En fin de recueil, postface de Marco Bucci et galerie de couvertures (11 pages).
Résumé: Caché dans les recoins les plus sombres et les plus mystérieux se trouve un monde de créatures anciennes et puissantes.
Un monde proche et en parfait équilibre avec le nôtre.
Que se passerait-il si cet équilibre était brusquement perturbé ? Dans une ville de New York enneigée, l'aventure extraordinaire de Becky commence.
E
n 1995, Claire et Meera sillonnent la Californie. Un soir, sur la route, elles s’arrêtent pour assister les victimes d’un accident. Un convoi de pommes a sèchement percuté un véhicule léger, avant de terminer son embardée sur l’accotement. Le camion est renversé, la cargaison éparpillée et les conducteurs sont décédés. L’unique survivante, est une Amérindienne enceinte. Sa robe est couverte de signes tribaux peints en rouge. Elle se meurt. Elle pose alors une main sur son ventre et l’autre sur celui d’une des jeunes filles. Aujourd’hui, l’enfant a vingt-et-un ans. Rebecca Kumar, fille de trois mères, ignore tout de l’impensable insémination. Pourtant, cette nuit un monde inconcevable va lui être révélé au point que cette étrange fécondité lui paraîtra foncièrement naturelle.
Caché derrière une locution latine, Nomen est Omen, qui signifie « le nom est présage », l’écrivain Marco B. Bucci propose un divertissement aux nombreux mystères. Son histoire met à l’honneur des entités du folklore celtes évoluant dans une période contemporaine, aux États-Unis, à l’instar du travail de Fabrizio Dori sur Le dieu Vagabond (prix des chroniqueurs Bdgest 2019) qui trace le quotidien d’une légende de la mythologie grecque, au temps de la crise économique et des aléas actuels. Seulement, là où le satire Eustis mène une vie de déchéance, prétexte à une déambulation introspective, les acteurs du comics, eux, organisent la révolte. Les pions se déplacent sur l’échiquier au gré des conjurations sur un champ de bataille urbain. La trame narrative invoque donc à plusieurs reprises les contes irlandais. Logique, les scènes se déroulent à Big Apple et l’immigration nord-européenne y a été gigantesque, particulièrement suite à la famine de 1845. Cependant, ces croyances ne sont pas un lieu commun. L’auteur suscite ainsi un intérêt qu’il n’exploite pas encore véritablement. Il faut dire que l’univers bâti est complexe, convoquant des machinations où les événements du 11 septembre occupent une place prépondérante, et où les mentors semblent ne pas jouer carte sur table, que ce soit le gardien de Central Park (alias Fer Doirich) ou l’envoûtante Fatalia Macbeth (aka Maeve, méchante reine du cycle d’Ulter). Notez qu’une nouvelle fois le pays du leprechaun est subtilement mis en exergue. Attisant par là-même, la curiosité du lecteur.
Jacopo Camagni (Magna Veritas, Hawkeye vs Deadpool) possède un trait séduisant, à l’encrage des contours épais qui contraste à la finesse de son geste lorsqu’il décline l’intérieur des silhouettes et croque les détails de ses décors. Son expérience du format lui permet d’oser des cadrages renversants rendant admirablement l’atmosphère de la cité américaine, des rues glauques aux grattes-ciel vertigineux. Les quelques plans de poursuite en plein New-York sont très réussis. Le mouvement des êtres surnaturels au pied des buildings rappelle ceux de Tetsuo à Néo-Tokyo, dans le chef d’œuvre de Katsuhiro Otomo. Le côté fantastique emprunte d’ailleurs beaucoup à l’imaginaire japonais. Les petites créatures formant un cercle sur le sol, barrière entre deux réalités, font penser aux films du studio Ghibli et, précisément, aux longs-métrages de Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro en tête).
L’héroïne est achromate. Elle est de ce fait incapable de voir les pigments. Cette petite trouvaille scénaristique a de grandes conséquences quant à la peinture de l’album. Précédemment à la naissance de la demoiselle, des couleurs distinguées s’expriment. À compter de sa nativité, les pages se succèdent en noir et blanc, avec une parfaite maîtrise du dégradé de gris. Cette mise en relief est très proche de la production de Bertrand Gatignol sur les Ogres-dieux. Puis, lorsque la magie apparaît à son personnage principal, l’artiste joue d’autres procédés en fonction de l’endroit où se déploient les saynètes. Dans le réel, la sorcière en herbe perçoit ce flux comme les synesthètes accordent des coloris aux formes, aux lettres de l’alphabet ou à la musique ; et, à l’inverse, un rendu volontairement plus grossier à la palette graphique est appliqué de manière à identifier les visions qui l’assaillent, dont il est fort à parier que ces séquences sont énonciatrices des situations à venir.
Total Eclipse of ther Heart, le volet inaugural de la saga Nomen Omen allie un scénario de qualité à une réalisation admirable. La fantaisie bénéficie, en outre, d’une offre de lancement. Vous n’avez dès lors aucune excuse pour ne pas vous jeter à cœur perdu dans sa lecture !