Le 25/09/2024 à 13:27:59
Alors que Nausicaä de la vallée du vent est déjà sorti dans les salles obscures en 1984, Hayao Miyazaki continue à développer son univers dans la série papier du même nom – toujours inachevée en 1990 - qu’il publie au compte goutte dans la revue japonaise Animage. En parallèle, il sort des films comme Le Château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988), ou encore Kiki La petite sorcière (1989), influencés par son manga. Dans ce tome 5, un fongus artificiel – sorte de blob gigantesque – créé par des « scientifiques » dorks dans l’intention d’en faire une arme de guerre, s’avère plus dangereux que prévu et bouleverse la guerre entre Tolmèques et Dorks, où s’immisce également les insectes. Plus que de la pollution, cette matière transformée par l’Homme symbolise une véritable souillure morale, celle d’un pan de la civilisation humaine. Hayao Miyazaki convoque alors un esthétisme déroutant, composé de nuées grouillantes, de liquides nauséabonds, de spores et de miasmes. Dégoutant ! Ce bestiaire aussi fantasque qu’horrifique est complété par les « hidolas », sortes de golems, au service du théocrate dork. Cet album insiste sur le poids des responsabilités. Le mal renaissant a pour origine l’inconscience des dirigeants politiques et le manque d’éthique des scientifiques, aveuglés par la quête de pouvoir, de quelque nature qu’il soit. Finalement, c’est Nausicaä qui endosse le poids du fardeau, celui de toute l’Humanité, à l’image d’un néo-Jésus. Effectivement, elle fait figure de messie dans le manga, elle est celle qui intercède entre les dieux et les Hommes, qui doit laver les péchés de l’Humanité. Cet album, en plus de cette prise de responsabilité énorme, représente aussi le passage de Nausicaä à l’âge adulte, à une forme renouvellée d'elle même, symbolisé par l’œuf de sérum. De ce fait, l’œuvre de Miyazaki s’adresse tout particulièrement aux adolescents, mais aussi aux enfants et aux adultes. Intergénérationnel. Heureusement, Nausicaä n’est pas seule pour se défaire de cette souillure. Selon comment le vent tourne, elle est est accompagnée de Teto, un renard-écureuil protecteur, ou encore d’un garçon plein d'énergie, Asbel, ou même Yupa, son mentor, et elle fait d’autres rencontres encore, lors de ses aventures épiques. Elle a également un équipement adapté, dont fait partie le masque visible sur la couverture du tome 5. Et puis, les ômus (on peut voir l'un de leurs multiples yeux, bleu du fait de leur absence de haine, sur la couverture) sont là pour l'aider, en réparant la nature. Ils symbolisent la formidable capacité de la nature à se régénérer, que ce soit la faune ou les plantes. Enfin, ce tome 5 témoigne d’un syncrétisme déroutant, entre Orient et d'Occident. On y évoque la puissance du mythe face au poids de l'Église, l’animisme et le polythéisme ouvert face au dogme unique et sans partage, l'assemblée des bonzes contre le culte de l'empereur. Ainsi, les hommes de l’empereur dork ont bien du mal à faire taire cette rumeur, cette superstition hérétique d’un messager aux ailes blanches, qui semble s’incarner en la personne de Nausicaä - qui refuse d’ailleurs qu’on la traite comme une déesse. Puis, il y a ce dieu guerrier, qui fait figure d’ultime recours pour une société rétrofuturiste, post-industrielle. Dès lors, on ne peut s’empêcher de penser aux bombardements américains lors des guerres mondiales (que ce soit le choc des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945 - avec ces peaux qui fondent sous la puissance de feu d'un dieu guerrier dysfonctionnel - qui avait déclenché un changement de paradigme chez les Japonais - l’empereur cessant de devenir un dieu pour eux - mais aussi les bombes incendiaires, qui avaient fait encore plus de ravages et de morts, historiquement parlant). Or, une autre voie est aussi possible, celle de Nausicaä, si engagée dans sa quête qu’elle en finit par être enveloppée par cette nature souillée, puis mangée par un ômu. Avec ces multiples épreuves, elle revête alors un caractère sacré, celui d’un demi-dieu. Après tout, n’est-ce pas le propre des héros ? Mais, Nausicaä est aussi une fiction ancrée dans les problématiques du réel, celles de notre environnement. Or, contrairement à la réalité, la nature semble ici prendre sa revanche (titre de l’émission de France culture sur Nausicaä), face à la pollution de son domaine sacré et à la corruption des gouvernants humains.BDGest 2014 - Tous droits réservés