Résumé: Memoria est une ville qui n’existe pas. Offerte par la compagnie Brainstorm, cette destination virtuelle à l'image du New York des années 30 permet aux touristes du futur d’assouvir leurs désirs les plus inavouables dans la plus grande impunité. Mais dans les coulisses de ce décor factice plane l’ombre d’un monstre numérique. Vingt ans après sa première parution, non seulement le diptyque Le naufragé de Memoria n’a pas pris une seule ride, mais il est plus actuel que jamais. Le voici enfin publié en version intégrale.
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ais qui c’est ce Benjamin Blake ? Il dit venir d’une ville qui s’appelle Memoria. Problème, celle-ci n’apparaît sur aucune carte. Enfin, pas pour de vrai. La seule cité de ce nom qui pourrait faire l’affaire est celle que la compagnie Brainstrom a conçue pour sa nouvelle attraction immersive. Un doux dingue qui a trop passé de temps devant son écran ou un affabulateur ? En tout cas, il a vraiment l’air d’y croire à ses salades, tant il semble perdu et terrorisé.
Originellement paru en deux tomes en 1999 et 2004, Memoria date de l’époque qui a vu naître The Truman Show, The Matrix et des premiers balbutiements de l’internet grand-public. Au même moment, le virtuel, une idée farfelue un peu nébuleuse venant de la science-fiction, devenait une possibilité techniquement envisageable. Bien au fait de ces considérations et ayant sûrement à l’esprit quelques romans de Philip K. Dick, Claude Paiement et Jean-Paul Eid ont imaginé une histoire haletante où des réalités se côtoient sans se reconnaître et où quelques rares initiés arrivent à franchir leurs frontières.
La question cruciale est de voir comment cette intrigue aux circonvolutions alambiquées a enduré quinze ans et plus d’évolution informatique. Le verdict est surprenant et impressionnant : sa lecture est restée totalement d’actualité ! Les démêlés de Blake et d’Alice Kuan avec les mystérieux Zalupskistes et leur leader ont gardé tout leur sens et leur force d’évocation. Cependant, l’écriture parfois inégale des dialogues et un certain abus de personnages secondaires caricaturaux (y compris le grand méchant dans une certaine mesure) gâchent un peu la fête.
Aux pinceaux, Eid réalise une performance remarquable. Avec un style empruntant autant au monde du comics qu'à celui de la BD franco-belge, le dessinateur se joue avec aplomb des dimensions et des matières afin d’orchestrer son récit. Pour rendre tangible ces univers, il a développé toute une série d’astuces graphiques (jeu sur les couleurs, pixellisation, découpage osé, etc.) percutantes et très efficaces. Évidemment, à l’image du scénario, le résultat s’avère touffu, mais ne tombe jamais dans l’abscons ou l’artificiel. Les plus curieux pourront aller à la pêche aux influences, de Moebius à Manara en passant par Mézières ou Schuitten, celles-ci ne manquent pas et participent pleinement à la fête.
Œuvre d’anticipation dense et palpitante ayant réussi à traverser les années sans perdre de sa pertinence, Memoria devrait séduire les amateurs de thriller techno ainsi que tous les geeks bédéphiles du réseau (ils existent, David Vincent les a vus).
Les avis
Erik67
Le 03/09/2021 à 20:42:26
Cette histoire aurait pu être très intéressante même si elle reprend des thèmes déjà exploités dans d'autres oeuvres cinématographiques comme Matrix qui semble être la référence. Il est également question d'une matrice... Les univers parallèles donnent lieu à une multitude d'intrigues plus ou moins originaux. J'aime pas par contre le repompage à une sauce différente (ici on prend un New-York des années 30).
Par ailleurs, on va complètement se perdre dans les méandres de ce récit. Peut-on être nulle part et partout à la fois ? Même si on accepte tous les postulats de départ, on n'éprouve aucun plaisir à cette lecture qui mélange réalité, réalité virtuelle et monde parallèle. Je ne trouve pas que ces concepts sont habilement exploités : au contraire...
Le dessin et la colorisation étaient plutôt réussis : il faut le reconnaître. Cela donnait réellement envie de s'y plonger. Cependant, il faut s'accrocher pour pouvoir comprendre la moindre parcelle d'image. Oui, c'est une bd prise de tête : n'ayons pas peur des mots ! A réserver aux inconditionnels !