Résumé: Özge grandit sur les bords de la mer Égée en Turquie. Elle s’imagine aventurière, mais ses parents et la société veulent l’enfermer dans des cases. Son père souhaite qu’elle devienne ingénieure comme sa sœur. Dans un pays déchiré entre laïcité et fondamentalisme, Özge tente d’écouter sa petite voix intérieure : deviendra-t-elle actrice, ou plongeuse comme Cousteau ? Sera-t-il possible de satisfaire tout le monde ? Photos, papiers collés, tampons... Özge Samanci casse les codes dans ce roman graphique d’émancipation.
Ö
zge vit à Izmir, en Turquie, avec ses parents et sa sœur Pelin. Elle grandit entourée de l’affection de siens et ses héros s’appellent Atatürk et Cousteau. Dès les bancs de l’école, elle doit pourtant faire face aux contraintes d’une société qui, se voulant moderne, reste ancrée dans des traditions ancestrales. Entre hauts et bas, son parcours d’enfant, d’adolescente puis d’étudiante reflète ses difficultés à trouver sa place et à s’épanouir quand d’autres – son père en tête – entendent dicter ses choix.
Maison indépendante, les éditions du Faubourg publient peu, mais entendent offrir aux lecteurs des ouvrages de qualité, avec la « volonté de faire se rencontrer des personnalités singulières, des genres littéraires en mouvement et des sujets d'actualité. » Nager à contre-courant, un roman graphique signé par Özge Samanci, s’inscrit pleinement dans cette vision. En effet, à l’instar de Riad Satouf dans L’Arabe du futur, l’autrice y témoigne de son vécu des années 1980 au début des années 2000.
Au cours de quinze chapitres, le récit suit un fil chronologique, allant des premiers pas scolaires de la jeune Turque jusqu’à sa période universitaire. Rêves enfantins et recherche d’un accomplissement personnel s’y heurtent aux discours biaisés de certains professeurs, à la discipline sévère sinon aveugle, aux pressions d’un système qui refuse toute fantaisie, préférant fixer chacun dans une case. Laïcité, omniprésence du religieux, contrôle politique, course à la réussite et son pendant, la spirale de l’échec, sont également évoqués à travers des saynètes éloquentes. Les conflits d’Özge avec son père au sujet de son avenir sonnent également justes et raviveront quelques souvenirs chez ceux qui ont connu de tels démêlés. La scénariste dépeint toutes ces obligations, contrariétés et déconvenues sur un ton teinté d’humour autant que d’authenticité.
Pouvant ne pas séduire de prime abord, la partie graphique propose des planches aérées, comportant entre deux et six illustrations dépourvues de contour. Explications contextuelles, échanges et considérations y jouent parfois sur les formes. De plus, le trait, d’apparence assez simple et expressif, est enjolivé de tampons, collages et autres ajouts qui lui apportent un côté « bricolage artistique » plein de fraicheur. Il s’orne, par ailleurs, de quelques touches de couleur faisant ressortir, çà et là, des éléments, comme la chevelure rousse de l’héroïne, le bleu de la Mer Égée, la chair rouge d’une pastèque, ce qui rend l’ensemble agréable et vivant.
Bien raconté et touchant, Nager à contre-courant. Une enfance en Turquie constitue une belle découverte à ne pas bouder.