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- La chronique
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Par L. Gianati
I
l existe plusieurs manières d’aborder Monsieur Jean. Par exemple, celle d’un ado en quête d’émotions fortes qui verra certainement en ce personnage l’antithèse de ce qu’il souhaite devenir : une sorte de bobo trentenaire, francilien, évoluant dans les cafés branchés de la capitale, romancier à ses heures. Le genre de mec pas très fun qu’on tente d’éviter dans les soirées, de peur qu’il ne vienne nous soûler avec ses théories alambiquées ou ses longues tirades concernant le dernier Goncourt. Monsieur Jean n’est pas un super héros, ne possède aucun talent particulier. Il a un physique plutôt quelconque, fume, boit, rend visite à ses potes, ramène chez lui quelques copines rencontrées ici et là. Et puis…
Et puis, le charme opère. On enlève le « Monsieur » devenu superflu pour garder l’homme, nu et sans artifices. Jean est aujourd’hui devenu un ami, ses faiblesse sont les nôtres, ses questionnements renvoient constamment à certaines étapes de la vie, aux premiers amours, aux soirées interminables passées à refaire le monde, à ces quelques instants de bonheur partagés. Papa d’une petite Julie, il souhaite désormais construire sa vie de famille. Une transition difficile abordée dans le cinquième tome de la série, Comme s’il en pleuvait. Quitter l’insouciance, l’indépendance, apprendre à vivre à deux, accepter l’autre… Mais aussi regarder par-dessus son épaule les errements de ses amis d’enfance, les rapports tendus entre Félix, insupportable utopiste, et Eugène son fils, à la recherche d’un père.
Inventaire avant travaux marque un vrai changement. Celui de l’éditeur tout d’abord puisque ce sixième tome est le premier paru aux éditions Dupuis. Mais aussi celui du grand saut en avant pour Jean : Cathy est revenue de New-York pour emménager. Un grand bonheur avant tout, mais aussi le retour des angoisses, des questions existentielles. A quarante ans, le chemin laissé derrière soi est devenu aussi long que celui qui reste à parcourir. Quelle trace va-t-on laisser de son existence ? Une simple boîte en carton comme celle abandonnée par un ancien locataire, un vulgaire matelas gardé précieusement par des aïeux très conservateurs ou un pactole amassé de façon peu scrupuleuse par une grand-mère collabo ?
Et si le sens de la vie était ailleurs ? Si le sourire de Julie valait bien tous les trésors du monde, si regarder les autres avant soi rendait finalement plus heureux… Peut-être est-ce cela vieillir. Commencer à comprendre.
Lire Monsieur Jean, c’est se remettre en question, s’amuser, râler aussi sur le comportement d’un bobo très attachant. L’intégrale, très sobre, des éditions Dupuis permet de (re)-découvrir avec bonheur l’œuvre majeure de Dupuy et Berberian. Six tomes réalisés de 1991 à 2003 réunis en trois volumes, de quoi balayer en quelques heures douze années d’une existence. Ne pas trop se retourner pour contempler le chemin parcouru, mais regarder devant soi, quitte à se donner le vertige de la vie… et de l’amour.
Lire la chronique du tome 6
Lire la chronique du tome 7
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