Résumé: Abel est un émigré. Comme tant d'autres, il a dû fuir sa terre natale à cause de la guerre. Exilé en France, il a fait son nid dans la famille de sa femme et tiré un trait sur ses racines. Mais un jour il doit retourner sur cette terre dont il s'est senti rejeté.
Comment gérer le retour au pays, après des décennies d'absence, quand on a été contraint de renier ses origines pour continuer à vivre ? Entre appartenance et identité brisée, Abel va tenter de se retrouver.
A
bel a tourné le dos au Liban il y a de nombreuses années et se fait dorénavant appeler Allan. Il ne parle plus la langue, il ne pratique plus les rites de l'Islam et il ne répond pas aux appels de son frère et de sa sœur qui tentent désespérément de le joindre. Il vit en France, avec son épouse, Prune, et sa belle-mère, Thésée, qui se meurt du cancer. Cette dernière est bien la seule à pouvoir le persuader de retourner au Proche-Orient. Ce retour aux sources provoquera une prise de conscience : on ne se coupe pas si aisément de ses racines.
Joseph Safieddine trace intelligemment le portrait d’un homme tourmenté. À travers les gestes et les images plus qu’avec les mots, il présente un être complexe, déchiré entre la fuite et la loyauté, entre deux pays, entre deux clans familiaux. Le rythme, lent, permet d’installer le climat à travers lequel une foule d’événements, souvent anodins (une chaussure remise à sa place au début du récit trouve son sens à la fin de l’album), qui contribuent à construire la personnalité du héros, à révéler ses tourments, ses ambiguïtés et l’origine de ses blessures, avant de conduire à une forme de rédemption.
Le dessin de Kyungeun Park est inégal. Son trait, très fin, s’avère particulièrement efficace pour représenter les décors (bâtiments et végétaux) et d’une précision frappante lorsqu’il illustre la faune. Le visage vieilli et fatigué de la condamnée est également rendu avec justesse. Certains acteurs manquent cependant de caractère ; ils ont des physionomies parfois artificielles, à la limite du caricatural, alors que l’ensemble demeure passablement réaliste. Il y a peu à dire sur la composition, généralement sage en quatre bandes, sinon que quelques illustrations pleine page (et même une double, toute bleue avec un petit avion) ne sont pas vraiment significatives et le lecteur se questionne sur l’espace qui leur est accordé. Aux couleurs, chapeau à Loïc Guyon et à Céline Badaroux qui proposent une palette remarquable ; beaucoup de teintes riches, notamment l’ocre et le vert, caractérisent les scènes de jour, alors que la nuit est dominée par le rose.
Qu’elle mange des pigeons bios chassés dans le jardin ou qu’elle fasse le ramadan, la famille est une source intarissable d’inspiration pour les romanciers. Pour le meilleur et pour le pire. Dans Monsieur Coucou, les auteurs font très bien les choses.
La preview
Les avis
Erik67
Le 03/09/2020 à 19:10:38
Monsieur Coucou est un titre qui sonne très mal pour cette œuvre. Personnellement, je ne l’aurais pas choisi car cela n’apporte rien d’autre que de la confusion et de l’étonnement. Le sujet est pourtant grave car il s’agit d’une belle-mère victime d’un cancer qui s’éteint petit à petit. C’est le gendre, issu de l’immigration arabe, qui s’occupe d’elle avec dévouement comme si c’était sa propre mère.
Jusque-là, tout va bien sauf qu’il a lui-même des relations plus qu’exécrable avec sa famille qu’il a totalement rejeté. Pour autant, il empêche son jeune frère et sa jeune soeur restés au Liban de développer une affaire commerciale à cause d’une histoire de signature devant notaire sur la vente de terrain. Il bloque la signature alors que sa vie est totalement en France puis plus d’une vingtaine d’années. J’avoue avoir mal compris ces motivations profondes qui n’ont de sens que de faire obstacle à la sacro-sainte liberté d’entreprendre.
Pour autant c’est également une critique de notre façon de penser et de se comporter en famille face à la maladie. Il est vrai que notre protagoniste principal Allan possède de réelles qualités humaines qui font défaut à pas mal de monde notamment de son entourage proche. Il devra également balayer devant sa porte avec un voyage sur le retour aux sources. Le Liban en prendra pour son grade bien que le pays ne soit jamais mentionné comme pour ne pas froisser certaines susceptibilités. Rien ne sera épargné. En cela, c’est une oeuvre plutôt sincère. J’ai bien aimé ce témoignage d’un exilé.