Résumé: Il fait nuit. Une jeune femme marche en rasant les murs afin d’éviter son ombre dont la forme carnassière l’inquiète. Un curieux personnage l’apostrophe : c’est Monsieur Chouette qui propose de la guider à travers le Pays des Morts. S’ensuit un voyage aussi fantastique qu’inquiétant… Car au Pays des Morts, tout est si éphémère, que chaque jour, les immeubles se transforment, poussés par l’arrivée de nouveaux bâtiments morts, tandis que des voitures rejouent continuellement l’accident qui les a menées à la casse. Un monde surpeuplé, où se bouscule une foule bigarrée qui craint plus que tout Cerbère, créature canine au flair infaillible et maître des lieux redouté.
L
e soleil a disparu derrière l’horizon et une jeune femme se dépêche de rentrer chez elle. Elle a peur la pauvre, d’un peu tout, mais surtout de son ombre… En chemin, elle croise monsieur Chouette, un étrange personnage qui se dit psychopompe. Un peu affolée, la passante accepte néanmoins un rendez-vous. Il faut dire qu’il lui certifie qu’il a les moyens de la guérir de ses psychoses. Ils se retrouvent le lendemain et s’engagent derechef dans le pays des morts… Le remède à son affliction s’y trouve lui assure le mystérieux volatile anthropomorphe.
La nuit, énormément de créatures sorties du monde des légendes et des mythologies, une quête et la Mort en personne, pas besoin d’être un oracle ou une IA de dernière génération pour deviner que David B. est de retour avec un nouvel album ! À la fois parfaitement à sa place dans la bibliographie de l’auteur du Tengû carré, Monsieur Chouette ne se limite heureusement pas à une simple récitation stylistique et thématique. En effet, cette fable métaphorique et symbolique embrasse plus large et intègre une foule de sujets actuels aux habituelles réflexions du scénariste. L’héroïne vit dans l’angoisse d’elle-même, elle va devoir changer de peau (littéralement), affronter des dangers et oser se dépasser, tout en ne se faisant pas remarquer. Sur ses talons, outre son ombre ou l’image qu’elle se fait d’elle-même, le terrible Cerbère fera tout pour l’arrêter. Une vivante chez les trépassés, le tabou est intolérable dans le vestibule de l’au-delà ! Quoiqu’un peu longue, la succession de péripéties s’avère rythmée, bourrée d’idées et de retournements. Absurde, jeux logiques, ce qu’il faut de références culturelles de hauts vols et d’humour ponctuent cette lecture trépidante et enthousiasmante.
Visuellement, le résultat n’est pas moins renversant. Après près de quarante années de carrière, le dessinateur prouve qu’il en a encore sous le coude et il offre un récital graphique époustouflant. Les moments de bravoure se succèdent : décors merveilleux et bestiaire fabuleux en constante mutation, découpage habile, etc. Chaque planche est un trésor d’une richesse incroyable. De plus, malgré la densité des cases et la frénésie continuelle, la lisibilité reste impeccable au fil des pages.
Véritable tour de force dessiné, Monsieur Chouette devrait séduire les amateurs de fantastique gothique ainsi que les fins connaisseurs des gnoses hermétiques (tous genres confondus). La simplicité relative de l’intrigue est contrebalancée par une mise en image extraordinaire exploitant toutes les possibilités de l’encre de Chine. Organique, vibrante et tellurique, la Mort est avertie, la plume de David B. est parfaitement affûtée !