Résumé: Janvier 1855, Gérard de Nerval est retrouvé pendu aux grilles d'une bouche d'égout. Cette fin tragique aux allures de suicide mal maquillé, a éveillé les soupçons des plus hautes instances. Une brigade littéraire est créée pour enquêter. Les années passent et les agressions, tentatives d'assassinats et notamment les coups de couteau se multiplient aux quatre coins de la France à l'encontre des gens de lettres : Luc Dietrich, René Char, Antonin Artaud...Janvier 1938, c'est au tour de Samuel Beckett d'être sauvagement poignardé, le laissant gravement blessé avec un poumon perforé. La brigade littéraire se rend à son chevet et reprend du service. Pourquoi les lames s'acharnent-elles dans les chairs des meilleures plumes ? Qui sont ces agresseurs anonymes qui disparaissent sans laisser de traces... Hasards, fatalité, complot... Quel sens donner à ce puzzle macabre ?
David B. réécrit l'histoire littéraire du début du XXème siècle sur fond de roman noir en explorant les recoins de biographies ignorés des Lagarde et Michard. Hanté par la littérature et les écrivains, le Mon Lapin de David B. est une arborescence de plus à son univers. Dessiné à quatre mains avec Andrea Bruno (connu pour sa collaboration à la revue italienne Canicola et ses ouvrages publiés aux Éditions Rackham), les deux dessinateurs se partagent en quinconce, les pages, les cases, dans un va et vient qui rend d'autant plus ténébreuse cette enquête policière.
A
u tour de David B. de prendre les rênes de la revue Mon lapin de L’Association. Le principe de base est cette fois un peu contourné : au lieu d’un recueil d’histoires et d’une pléthore d’auteurs invités, c’est un récit à quatre mains avec Andrea Bruno que le créateur des Incidents de la nuit propose. Il y a d’ailleurs un titre à cette aventure, comme si elle aurait pu prendre place dans une collection de l’éditeur : L’ange de Beckett.
Le dramaturge de l’absurde, qui avait marqué les esprits avec En attendant Godot, est le personnage au cœur de tout, c’est-à-dire d’une agression au couteau et d’une enquête menée par la brigade littéraire constituée pour faire la lumière sur des attentats à répétition visant des écrivains. La patte de David B. saute aux yeux, rappelant entre autres des albums tels que La lecture des ruines et Le capitaine écarlate. On retrouve ici les ingrédients qui en faisaient le sel, mélange de loufoquerie et de réalisme où l’imaginaire est ancré dans le réel et accepté d’emblée par le lecteur. Il y a aussi dans cette nouvelle dessinée un goût prononcé pour le roman noir, pour les faits divers, pour ces ambiances oppressantes et fantasmagoriques qu’il se plaît à installer. Dans ce cas-ci, il est parfaitement épaulé par Andrea Bruno : leurs styles, pourtant dissemblables, se côtoient de façon harmonieuse avant de se chevaucher allègrement, contribuant à semer le trouble. Au final, on se gardera bien de trancher entre ce qui est véridique et ce qui ne l’est pas.
Le seul regret, à l’issue de ces trente-deux pages passionnantes, est peut-être qu’un deuxième service ne serait pas de trop. Avec cet hommage à Samuel Beckett, David B. a jeté les bases d’un univers qui ne demande qu’à être approfondi.