U
n jeune marin, Ismahel, rêve de s’embarquer sur un navire baleinier et de vivre l’extraordinaire aventure de ces hommes qui passent trois ans sur un bateau à traquer les cétacés au péril de leur vie. Il fait la connaissance de Quiequeg, un fascinant indien harponneur et tous deux s’engagent sur le Pequod, dont le mystérieux capitaine va les entraîner dans une vengeance personnelle contre le cachalot qui lui a arraché une jambe.
Le roman d’Herman Melville, Moby Dick, est une œuvre titanesque, sorte de plongée lente et interminable dans les abîmes de la vengeance, pratiquement exclusivement centrée sur l’affrontement homérique entre un homme et un cachalot. Sa portée philosophique est à ce point abstraite qu’une adaptation est quasiment impossible, à moins de négliger délibérément des pans entiers du roman et de se consacrer uniquement à l’un de ses aspects, par exemple le côté aventure (comme dans le très bon film de John Huston, avec un Gregory Peck habité par le rôle d’Achab) ou de façon plus originale l’ambiance, ce que réussissent également très bien Rouaud et Desprez avec cette adaptation.
D’emblée, c’est le parti pris graphique qui frappe le lecteur : pas de crayonné, une aquarelle aux couleurs glaciales suggère les personnages et les décors plus qu’elle ne les représente, et les rares phylactères se fondent dans l’arrière plan au lieu de ressortir franchement comme c’est souvent l’usage. En effet, ils n’ont pas l’honneur des habituels fonds blancs car dans cette histoire particulière, cette couleur est réservée au Mal. En l’occurrence, la fameuse baleine, bien sûr, mais aussi son pire ennemi, Achab (liquidant par là même toute ressemblance avec l’interprétation de Gregory Peck).
Alors que ce n’est pas forcément perceptible dans le roman, un bon tiers de l’album est également consacré à l’amitié entre Ismahel et Quiequeg, avec en toile de fond la vie particulière des ports de l’extrême nord de l’Atlantique. Un thème particulièrement propice à des illustrations magnifiques, mais guère passionnant, avec qui plus est un traitement délibérément contemplatif qui anéantit toute intensité dramatique.
Il faut patienter pratiquement jusqu’à la moitié de l’album pour rencontrer le véritable héros, Achab. Hélas, la rencontre n’est pas à la mesure de l’attente : sans doute la bande dessinée n’a t’elle pas toutes les possibilités qu’offre la littérature pour camper un tel personnage. Son apparence est cependant réussie, notamment le visage et le regard, ce que démontre par ailleurs très bien la très belle couverture. L’affrontement final tant espéré déçoit également, trop vite expédié pour qu’on ait le temps de ressentir son ampleur. C’est encore une fois le graphisme qui vient à la rescousse d’un scénario qui ne parvient pas à retranscrire toute la puissance de l’opposition entre les protagonistes.
Les lecteurs qui connaissent déjà l’œuvre originale seront sans doute frustrés de ne pas retrouver tout le souffle de celle-ci. Comme les autres, ils pourront néanmoins se contenter d’une mise en images remarquable, qui a le mérite de proposer une vision nouvelle de cette histoire mythique.
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