Résumé: VOUS ALLEZ ADORER LE DÉTESTER Minus a une vie minable : un job pistonné par son père (à qui il doit son surnom) où il fait semblant de servir à quelque chose, une relation sexuelle passionnelle avec sa main droite, et une vie amoureuse réduite à néant. La particularité de Minus, c'est qu'il en a conscience. Il est cynique, ou paresseux, ou juste coincé... Peu importent les raisons : Minus se satisfait pour l'instant de cette vie-là, à mater discrètement les nichons des filles dans le bus, à taquiner Brutus, son cerbère de voisin, ou à se coltiner l'humour pathétique de ses collègues de travail. Parmi ces derniers, il y a bien la splendide Virginie qui sauve la mise ! Le problème est qu'il a un ticket avec elle, et pas question de tomber dans les problèmes qui vont avec la mise à la colle... Il en est là, Minus, lorsqu'il se fait livrer un de ces incroyables jouets sexuels, une poupée pleine d'accessoires dont le réalisme troublant lui fait vite oublier sa relation fidèle et perdre de plus en plus pied avec une réalité dans laquelle il ne trouve pas sa place. Dans un noir et blanc fortement inspiré du comics underground et d'un trait sans pitié pour les faciès humains, Rica nous emmène une nouvelle fois dans les noirs tréfonds de l'âme humaine. Tout cela saupoudré avec une dose égale de sadisme et d'empathie...
T
rentenaire, cadre efficace, il est élégant et apprécié. Il vit dans un appartement moderne, certes meublé de manière minimaliste, presque aseptisée, mais avec goût. Pourtant, son existence est littéralement accaparée par le sexe. Ce mal qui le rongeait plus ou moins inconsciemment tant qu’il vivait comme en autarcie va lui exploser à la gueule quand sa petite sœur délurée, et surtout au plus mal, va débarquer chez lui. Cet homme, c’est Brandon (incarné par Michael Fassbender) dans Shame, le film de Steve McQueen arrivé en salle à la fin de l’année passée.
Rien à voir avec Minus, le personnage principal de l’album du même nom réalisé par Rica (E dans l’eau). Minus a la vingtaine, s’habille comme un adolescent et habite dans un appartement où la question de la décoration ne semble même pas s’être posée - sans doute a-t-il mieux à faire. Il bosse pour une boîte dans laquelle il ne fout rien grâce à un coup de pouce paternel. L’argent tombe donc un peu du ciel et est essentiellement réinvesti en de couteux gadgets sexuels, ainsi qu’en alcool. Il faut bien oublier là où il est tombé et entretenir une certaine prestance dans le quotidien ; cette arrogance facile de celui qui se croit plus perspicace que les autres.
La thématique est cependant la même : l’addiction sexuelle.
La planche qui ouvre cette bande dessinée annonce la couleur sans équivoque : sombre, très sombre. La première case, la plus importante, est centrée sur le visage de Minus, en nage, et le regard malade. Celles qui suivent vont de ce visage qui va se contractant à son corps étendu à plat dos, le sexe pointé vers le haut, tenu à pleine main. De cette brève séquence, une phrase est à retenir : « et dans pas longtemps je vais me détester ». Question de minutes, voire de secondes. Kleenex. La journée peut commencer.
La couverture, toute en symboles, en dit long sur le contenu et fait inévitablement penser à l’atmosphère qui se dégage du travail de Mezzo (Le roi des mouches). Cette impression demeure à la lecture de l’album, de même qu’il y a du Charles Burns (Black hole) en un peu moins pur et un peu moins figé, et du Tanxxx (Esthétique et filatures) en un peu moins punk (et un peu plus rock). C’est donc dans une veine graphique pour le moins adaptée à la déviance que Rica inscrit son récit. Les protagonistes ont chacun leur part d’indicible folie, l’univers est volontiers oppressant et, parfois, le réel opère une sortie de route vers quelque chose de parallèle (à moins qu’il ne fusionne avec, certains verront la chambre de Barbe-bleue), avant de mieux revenir à la réalité. Si cela est mené avec ce qu’il faut de subtilité, et en évitant la surenchère, ça fonctionne. C’est ici le cas. Peut-être un peu moins pour ce qui concerne ce qui est montré, le dessinateur n’y va pas par quatre chemins, c’est très cru, parfois à la limite de la complaisance. Maintenant, toute cette pornographie n’est-elle pas aujourd'hui accessible pour tout un chacun ? C’est une question que pose ce livre. Une autre vise la sordide dégringolade de Minus qui semble s'emballer page après page. Jusqu'où va-t-il perdre pied, sachant que son dégout de soi commence à se traduire violemment dans ses rapports avec les poupées gonflables et qu’il est de plus en plus incapable de faire la différence entre chair de plastique et chair humaine ?
Il y a cependant un choix de l’auteur qui peut être jugé discutable quant au traitement de son sujet. Quand Michel Pirus, le scénariste de Le roi des mouches, décide qu’il n’y aura pas un personnage pour rattraper l’autre, ça fait partie intégrante d'un tout. Là, l’idée de départ est tout de même différente. L’environnement délétère dans lequel l’auteur place Minus, cet être malade, tend presque à légitimer son comportement, ou tout du moins en minimise son caractère abject. Alors certes, tout ce petit monde pathétique (collègues, femmes…) peut être considéré comme perçu à travers le prisme désabusé de Minus, donc de manière sordide et dégradée, mais cette manière de procéder limite la force de cette histoire qui aurait pu être traitée avec davantage de finesse afin d’aller plus au fond des choses. Ce parti-pris offre néanmoins quelques scènes savoureuses et quelques échanges cyniques à souhait. Les dialogues claquent et la voix off (la conscience cafardeuse de Minus) accompagne avec à-propos le dessin.
Minus est un livre glauque, nihiliste dans ce qu'il dit et violent dans ce qu'il montre. À ne pas mettre en toutes les mains. Shame on you Minus.
> Entretien avec Rica
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Les avis
Erik67
Le 27/08/2021 à 08:07:32
Voilà une vraie bd pour les ratés et les bad boys en mal de compagnie féminine. La moralité nous est décrit par la dernière phrase de la narration: même les branleurs ont droit à une seconde chance. A vrai dire, on peut penser raisonnablement que tout le monde a droit à une seconde chance et pas seulement les minorités ou les cas sociaux.
Que dire de plus ? Ce fut une lecture qui nous plonge dans les travers d'un gars en mal à des pulsions sexuelles un peu étranges du genre à collectionner les poupées gonflables. Sur ce, les détails les plus sordides de ces activités diurnes et nocturnes ne seront pas épargnés au lecteur. Encore une fois, on a envie de se poser la question sur l'utilité de ce type d’œuvre mais nul envie de polémiquer.