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yant atteint l’âge de la sagesse, Stéphane Trappier fait une pause, pondère son parcours et propose un recueil de ses Plus grands succès. Il pose un regard glacé, mais lucide sur ce qu’il a su offrir à un public depuis longtemps acquis. Un hommage à Giscard (pas l’Auvergnat, un autre de Gennevilliers), une réflexion sur les actions d’un président de la République dont on ne peut citer le nom et un florilège de ses plus profondes pensées. L’œuvre parle d’elle-même, malgré cela quelques précisions se révèlent nécessaires pour que cette chronique ait une raison d'être.
Un peu de Tronchet période Raymond Calbtuh, une vénération palpable pour Guy Debord et les Situationnistes, une influence certaine de la Free Press américaine et un sens de l’absurde comparable à Fabcaro, Trappier ne pourrait être qu’un suiveur ayant flairé le bon filon. Heureusement, même si son humour reste très référencé, il parvient à se démarquer grâce à une imagination débordante et à la finesse de ses observations. Passant sans cesse du coq à l’âne, l’auteur n’a pas ménagé sa peine et change constamment de sujet (avec un penchant pour la politique et la communication) et de format (strip, gag en une planche, détournement, etc.). Évidemment, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’ouvrage rassemblant des récits publiés ici et là au fil des années, la lecture peut paraître un peu confuse sur la longueur. Une fois consenti ce petit effort intellectuel, le résultat se montre à la hauteur et s’avère immanquablement hilarant.
Loin des attaques frontales à la Charlie Hebdo, le scénariste préfère l’allusion plus ou moins appuyée et le décalage permanent. À force d’étirer au maximum l’actualité et les petites phrases toutes faites des communicants professionnels, il crée un déphasage étrange où tout est reconnaissable sans n'avoir plus de signification véritable. En exposant ainsi au grand nu les inconséquences de notre société, l’effet fait mouche. Victimes consentantes et marionnettes publiques, toute le monde en prend pour son grade sans qu’aucun doigt ne soit pointé.
Drôle, grinçant et implacable, mais aussi moments purement gratuits versant presque dans la poésie surréaliste, Mes plus grands succès est un chaudron bouillonnant aux effluves envoûtantes. Attention à ne pas se brûler la langue !