L
a couverture annonce la couleur : lire Mes hommes de lettres, c’est s’offrir une belle madeleine, gouteuse et dodue. Feuilleter une madeleine, il n’y a pas que le plus honnête des pâtissiers que cette perspective doit rebuter, alors comment présenter la démarche à un lecteur de BD amateur de classiques (et inversement) ? Ce n’est probablement pas un Que sais-je ?, même si, à trois unités près, la pagination coïncidait avec celle des ouvrages de la vénérable institution, ni un énième « pour les nuls ». Cet ouvrage risque en effet de réserver sa pleine saveur à celui qui a déjà fréquenté une bibliothèque et usé des fonds de culottes en salle de cours plutôt qu’au lecteur pressé de faire illusion lorsque les circonstances l’exigent.
Les références affluent en cascades, les scènes défilent tellement vite, et les joutes entre les petits personnages, animaliers ou humains, sont menées à un tel rythme qu’on se surprend à être fréquemment hors d’haleine. Heureusement, il y a toujours un passage sur lequel il est plaisant de revenir ou de s’attarder pour laisser défiler souvenirs de lectures et, leur corollaire, tous les instants particuliers les émotions qui leurs sont attachées et qui appartiennent au vécu de chacun. Qu’on ne s’y trompe pas, Mes hommes de lettres n’est pas qu’un prétexte à se retourner avec nostalgie sur sa « carrière » de lecteur. Si le propos est érudit et fourmille d’anecdotes, il ne rate jamais l’occasion de se moquer, avec un respect et une tendresse évidents, des auteurs, des courants et des épisodes qu’il éclaire, comme notre lanterne vacillante, d’une touche très personnelle. Particulièrement difficile à manier, l’exercice qui consiste par exemple à faire cohabiter langage, voire même, l’espace d’un instant, des acteurs d’époques différentes, est ici exécuté sans accroc. L’ancien côtoie l’actuel tandis que le désuet fréquente le moderne sans qu’on trouve à y redire.
Ainsi, comme le livre est malin, le choix de confier le lancement du wagonnet sur la montagne russe de la littérature à Messire Goupil apparait comme une évidence. Il manie aussi bien le latin vulgaire qu'il entonne un Sacré Charlemagne qu'on imagine "péchu" et se prétant à quelques riffs de mandoline. En une vingtaine de pages, tous vos souvenirs des œuvres moyenâgeuses remonteront à la surface de vos souvenirs alors que les commissures de vos lèvres remonteront à la hauteur de vos oreilles. Au point d’être tenté de se précipiter sur tous les classiques venus ? Peut-être pas, mais d’avoir envie d’intégrer une once de clémence dans le verdict qu’on croyait avoir rendu définitivement à l’encontre de son Lagarde et Michard, c'est possible.
Et tout le reste suit avec cette pointe de folie, fourmillant de détails que ce soit dans le texte ou le dessin : Montaigne se livrant à une séance d’auto-psychanalyse, les auteurs de la Pleïade qui traversent Abbey road tels sept garçons dans le vent, Corneille aux prises avec une troupe qui ne sera jamais prête pour la 1ère du Cid, La Fontaine débordé par l’enthousiasme de son bestiaire, le Père Hugo exécuté en huit cases, Zola s’incrustant partout pour mieux s’imprégner de la réalité de ceux qu’il va mettre en scène, ne sont que des exemples parmi d’autres et dont la somme constitue un régal qui pétille à tous les instants. Le mode employé n'est pas celui du détournement ou de la parodie mais bien d'une relecture facétieuse et tonique.
Une petite place est réservée aux éditeurs à l’heure d’aborder l’époque moderne, pas moins brocardés que leurs poulains. Leur faculté à ne pas miser sur le bon cheval pour des raisons éloignées de la valeur intrinsèque de leurs manuscrits fournit l’occasion d’un running gag réjouissant.
Mes hommes de lettres est véritablement un très bon bouquin dans lequel on aura plaisir à se replonger pour s’en offrir quelques gorgées à l’occasion, notamment après avoir croisé le livre de tel ou tel auteur, qu’on l’ait ouvert ou non. Histoire de (re)voir comment il a été croqué ici, et de trouver le prétexte de se coller le sourire aux lèvres. En fin d’album, Catherine Meurisse dresse l’inventaire des auteurs qui auraient pu faire partie de son casting. Chiche ? Mes hommes de lettres, le retour : prochainement sur nos étagères ?
Les avis
Hugui
Le 18/01/2009 à 19:54:48
Comment prendre un cours de littérature française en s'amusant ou une alternative à Lagarde et Michard bienvenue. Catherine Meurisse s'amuse et nous amuse à faire raconter l'histoire par les écrivains eux-même gentiment caricaturés. Si ce n'est pas une analyse fouillée des mouvements littéraires, cela donne quelques repères et nous incitera peut-être à redécouvrir nos auteurs classiques. Très bon.