Résumé: C’est le récit d’une époque formidable, au travers d’une des plus belles aventures de la presse, celle du défunt magazine « Hara-Kiri ». Une belle aventure que nous raconte Daniel Fuchs, témoin privilégié en tant qu’ami et comparse du Professeur Choron et de sa fine équipe : Cavanna, Wolinski, Reiser, Cabu, Gébé, Vuillemin… Il y avait de la provocation, de la bêtise, de la vulgarité, oui bien sûr, du cul, des nichons, des fesses, des gonzesses à poil, et alors ? La libération sexuelle autant que le féminisme triomphaient, et ces braves garçons, frondeurs mais romantiques, ne connaissaient pas le politiquement correct et se permettaient tout ! C’était une époque de liberté et d’audace où l’on a cru pouvoir rire éternellement, se moquer des riches et des puissants et changer le monde… Ne riez pas, on y a cru.C’était beau. Et c’est à « Hara-Kiri » que plein de choses ont commencé.
U
n peu par hasard, Daniel Fuchs – ne cherchez pas, ce nom ne vous dira rien – s’est fait embaucher comme comptable par George Bernier alias le Professeur Choron. Au lieu de se pencher sur les chiffres, il va devenir un peu l'homme à tout faire, à la fois livreur, « modèle », déménageur et vendeur d'une étrange entreprise. Bienvenu chez Hara-Kiri.
Véritable pan de l’histoire de l’édition française, pendant près de vingt ans, les Éditions du Square et ses véhicules, Hara-Kiri puis Charlie Hebdo, ont été le creuset d’une certaine BD « adulte », iconoclaste et politisée. Reiser, Wolinsky, Cabu, Cavanna, Gébé, Fred, Vuillemin et, à leur tête, l’inénarrable Professeur Choron ont tout osé, tout essayé pour se payer la tête de la société.
Joub, que l’on connaissait jusqu’à présent comme dessinateur (Géronimo, Max et Zoé) change de rôle et scénarise les souvenirs de Daniel Fuchs. Ce dernier, presque en Candide, se révèle être un témoin de choix pour raconter les différents épisodes de la très mouvementée histoire du Square. Le récit se concentre tout particulièrement sur le patron. Pierre angulaire de cette aventure, George Bernier est un personnage complexe. Il est capable du meilleur, la création d’une entreprise de recyclage de papier pour récupérer les vieux stocks d’imprimeurs afin de réduire ses coûts de matières premières est une idée à la fois géniale et avant-gardiste. Par contre, piètre gérant, il n’hésite pas à user de tous les artifices pour masquer la situation laborieuse de ses finances. À cours de liquidité, il n’hésite pas à se faire passer pour un mafioso (Fuchs joue alors le rôle de garde-du-corps patibulaire) pour effrayer des créditeurs un peu trop naïfs. C’est également un hédoniste qui transforme chaque clôture du journal en bacchanales décadentes. Si le côté anecdotique est très bien raconté grâce à la mémoire de Fuchs, le récit manque un peu de recul sur son sujet. Un rappel sur les conditions politico-sociales de l’époque et la place des Editions du Square dans celles-ci aurait été des plus pertinentes.
Nicoby est un dessinateur à plusieurs facettes. Son style oscille entre un trait réaliste pour des histoires « sérieuses » (Les ensembles contraires) et une approche plus lâchée pour des titres humoristiques (Les chroniques layettes). Dans Mes années bêtes et méchantes, il a logiquement choisi cette dernière approche. Sans tomber dans la caricature, il a très bien su croquer les différents protagonistes « historiques ». Il s’offre même un sympathique hommage à Reiser dans une scène typée « gros dégueulasse ».
Mes années bêtes et méchantes est une très bonne introduction à une époque où, semble-t-il, tout était possible.