Résumé: " Je n'ai jamais été très proche de mon père. Un océan nous sépare. Littéralement - depuis que je vis au Québec. Pourtant, lorsque j'apprends son AVC, je saute immédiatement dans un avion. À l'hôpital, dans un temps suspendu, je retrouve une petite soeur que je n'ai pas vue depuis des années. C'est l'attente... et le couperet tombe : notre père restera aphasique, il a perdu l'usage de la parole. Il lui reste à peine quelques mots... dont "Merveilleux'. "
Alors que Cookie et ses proches réalisent peu à peu les conséquences de cet événement, tous doivent apprendre à vivre avec le handicap. Mais dans la tragédie, les réactions de chacun se révèlent parfois inattendues.
Ce drame pourrait-il être une nouvelle chance ? La chance de se parler, de renouer les liens et de construire ensemble une nouvelle famille...
Cookie Kalkair nous offre ici, avec tendresse et humour, son récit le plus personnel.
J
uillet 2016. Ayant appris l'AVC de son père, Cookie quitte le Québec pour le rejoindre à l’hôpital de Bordeaux. Sur place, il retrouve sa demi-sœur, qu'il n'a pas vue depuis trois ans. Sept mois plus tard, Philippe est transféré dans un centre de rééducation. Lors d'une visite de suivi avec un neurologue, la fratrie apprend que l'état de leur père est sérieux. En plus d'une paralysie de sa main et de son pied droit, Il est atteint d'une aphasie de Broca : les zones du cerveau associées au langage ont été détériorées. Les capacités de parole, de lecture et d'écriture sont touchées. Philippe ne parvient plus qu'à dire "C'est bien", "Très bien" et "Merveilleux". Lou décide de se charger de son père malgré ses études, Cookie rentre chez lui. Quelques temps après, ils se retrouvent à Montréal, ne se doutant pas qu'il s'agit du début des nombreux changements pour tous.
Loin de ses travaux précédents abordant les sujets de sociétés, Cookie Kalkair propose à ses lecteurs un récit intimiste. En livrant une partie de son histoire familiale, non sans moments d'humour bienvenus, l'auteur aborde plusieurs thèmes et questionne les liens familiaux. Le scénariste a déclaré : "Je n'ai jamais été très proche de mon père. Un océan nous sépare." Ces mots sont forts mais ils qualifient avec honnêteté la relation filiale des deux hommes qui est fidèlement présentée au début du récit. Le passé familial de Cookie est complexe et l'a marqué, aussi a-t-il mis un océan entre son père et lui. Lourde conséquence : il ignore quasiment tout de sa demi-sœur. Au fil des mois qui passent et des évènements, les lecteurs découvriront, malgré l’altération du langage de Philippe, que les deux hommes et que la fratrie se rapprochent.
La grande force de Merveilleux réside dans la délicatesse du scénario qui ne se prive pas de montrer le plus fidèlement possible la façon dont le handicap survenu peut abattre la vie des proches tel un château de cartes. Le personnage de Lou illustre bien ce point. Voulant que sa vie redevienne normale, elle fera tout pour épauler seule son père, avant de rejoindre Cookie et sa femme. Mais concilier adolescence, études et vie de jeune fille en jouant le rôle d'aidant est éprouvant. D'ailleurs, de nombreuses scènes montrent la fatigue morale et psychologique des proches. Là encore, l'auteur évite le piège du pathos en conservant un réalisme saisissant. Un autre point important est le regard sur le handicap. Philippe perd l'usage d'une partie de son corps et d'une grande partie des fonctions langagières. Lors de la scène de l'entrevue avec le neurologue, Cookie Kalkair en profite pour donner de nombreuses informations sur le type d'AVC qui a touché son père. Par la suite, il montre les moments de rééducation au quotidien et le temps que cela demande aux membres de sa famille. De plus, il n'hésite pas à évoquer les moments où cela peut être gênant en dehors de la maison (surtout pour les badauds), suscitant là encore, des moments comiques ou de tensions. Ils n'occultent pas une réflexion sur le langage qui constitue l'un des autres points forts de cette histoire.
Les bédéphiles retrouvent le style graphique qu'ils connaissent déjà, même si le dessinateur tente d'être le plus réaliste possible, gommant les effets dont il est coutumier. Les compositions des planches soulignent sa volonté de mettre en avant les temps les plus forts de ce qu'il a vécu. C'est particulièrement le cas lors de la scène où il entre dans la chambre d’hôpital en début d'album. Le découpage est parfait, tout comme les choix de plans dans les cases, donnant l’impression d'une bascule importante dans sa vie. La typographie utilisée pour les dialogues de Philippe, présente sur la magnifique couverture, suggère les difficultés qu'éprouve cet homme pour communiquer dorénavant. Elle prend une autre dimension dans la dernière scène. William Wagner assure la colorisation de cette bande dessinée. Là encore, les choix effectués sont pertinents pour contribuer aux différentes ambiances qui jalonnent le déroulé du récit.
À travers ce récit intimiste et familial, Cookie Kalkair livre un témoignage poignant et juste sur la manière dont le handicap bouleverse la vie pour le pire mais aussi le meilleur.