Résumé: Mars 2004, Camargue. Alors qu'il couvre le conflit provoqué par la fermeture annoncée de l'usine Lustucru d'Arles, Pierre Daum, journaliste, découvre que cette usine ne fabrique pas seulement des pâtes : elle conditionne également du riz. Intrigué, il décide d'enquêter sur les conséquences de cette fermeture sur ces producteurs locaux. Au bord d'une route, il visite un Musée du riz où certaines photos l'interpellent : des Vietnamiens seraient venus planter du riz en Camargue pendant la Seconde Guerre Mondiale ? Pourquoi ce fait est-il si peu connu ? Il entame alors une enquête minutieuse pour retrouver des témoins de cette époque qui pourraient lui en dire davantage. Il découvre que 20.000 travailleurs indochinois ont été forcés dans les années 1940 à venir travailler en métropole pour "participer à l'effort de guerre"...
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iens, cela ferait un bon papier pour Libé ça : l'usine Lustucru de Arles subit un blocus des employés pour cause de fermeture imminente. Le pigiste Pierre Daum se rend sur les lieux, flairant l'opportunité. Au cours de ses recherches, il tombe sur une photo datant de 1942 avec des paysans asiatiques travaillant dans des rizières de la région, plutôt innattendu, non ? Pressentant un article plus prometteur, le journaliste se lance alors sur les traces de ces exilés arrachés à leur patrie par la France pour l'«effort de guerre».
Dans le cadre des Mémoires de Viet Keu, Clément Baloup retranscrit l'enquête de Pierre Daum qui a finalement abouti à un livre Immigrés de force. En 1939, vingt mille indochinois ont été «invités» (comprenez forcés) pour palier à un manque de main d'oeuvre dans l'armement, puis l'industrie et l'agriculture à la fin du conflit. Cela s'est accompli sans rétribution et dans des conditions dignes de l'esclavage. Le scénario est découpé en trois parties : tout d'abord la présentation de l'enquête journalistique. Ensuite, une galerie de portraits des survivants évoque avec humilité et authenticité leur passé. Enfin, la reconnaissance du gouvernement, difficilement arrachée est exposée. Sans apitoiement, cette lecture est d'autant plus marquante que les victimes n'expriment que peu de rancœur, pardonnant les injustices infligées.
Le lecteur retrouve avec plaisir le style graphique de l'artiste : un trait fin et réaliste, rehaussé d'aquarelles douces et dégageant une sensibilité parfaite pour la délicatesse et la dureté du contexte.
Sachez-le, le riz de Camargue doit son existence au savoir-faire des paysans orientaux. Reconnu en 2014 par un hommage officiel, ce fait méconnu a bien failli rester sous le paillasson de la honte. C'est donc une belle initiative de ces deux auteurs humanistes qui offrent, dans l'émouvant «Linh Tho», la parole de façon amplement méritée et légitime à cette population spoliée d'une partie de leur vie et de leur honneur.