A
ngèle aime Gilles, mais Gilles a d'autres projets en tête : devenir le plus grand bandit de la région. Et il n'entend pas s'encombrer d'une femme dans sa route vers la gloire. La belle jeune fille devra donc trouver un autre moyen de fuir la vie monotone de son petit village pour parcourir le monde et ses innombrables chemins. Les dangers ne sont pas rares pour qui souhaite mener une vie de nomade. Brigands et détrousseurs en tous genres écument les routes, au grand dam d'une maréchaussée parfois dépassée par les événements. Heureusement, Angèle a du caractère. Et il en faudra pour surmonter toutes les épreuves à venir.
Avec La belle coquetière, Jean-Claude Servais offre à ses lecteurs un bel exemple des histoires qu'il affectionne. Vie rurale dans une nature à la fois complice et hostile, truands et autres hors-la-loi qui dament le pion aux forces de l'ordre, vieilles croyances populaires et peur larvée du satanisme... c'est toute une époque qu'il peint avec sa classe habituelle. Ses thèmes sont récurrents, il est vrai, et d'aucuns pourraient le lui reprocher, mais une telle constance dans la qualité est tout de même remarquable, tout comme l'est son attachement à sa région. Au-delà d'ambiances reconnaissables au premier coup d'œil, le style de cet auteur du terroir s'exprime également dans les personnages qu'il met en scène, eux qui ne sont jamais ce qu'ils paraissent être. Tromperies, mensonges et faux-semblants font ainsi partie de leur quotidien, comme une règle de survie à respecter en ces temps difficiles. Leur personnalité, en particulier celle des femmes, gagne aussi en force à mesure que le récit progresse. Cette histoire, comme toutes celles de Servais, se profile donc comme une ode à la femme qui, consciente de son pouvoir et de ses atouts, les met à son propre service pour sortir d'un monde dominé par les hommes.
Les vagabondages d'Angèle et de tous ceux qui l'accompagneront sur les routes sont l'occasion pour l'auteur de dépeindre avec bonheur les paysages enivrants d'une nature belle et sauvage. Le trait fin s'accompagne des couleurs tout en luminosité de Raives pour faire de chaque planche le témoin de l'amour d'un grand conteur pour la vie de campagne. Claire lorsqu'elle baigne dans la lumière du jour et obscure lorsqu'elle se fait complice des menus larcins perpétrés par le tout venant, l'atmosphère revêt constamment une beauté qui incite à l'évasion. L'art graphique de Servais, outre cette aptitude à toujours ajouter une touche de poésie dans ses paysages d'un réalisme pourtant inébranlable, prend toute sa valeur dans la représentation d'un corps féminin à la beauté irrésistible. Rien de vulgaire, toutefois, dans l'image que l'auteur en donne, la joliesse et l'apparente fragilité sont plus les forces que les faiblesses de femmes qui ne se livrent jamais complètement, gardant la maîtrise de leur âme alors que leur corps s'offre au désir des hommes.
La belle coquetière, récit savoureux et invitation à redécouvrir un mode de vie qui appartient au passé, occupe une place de choix dans le travail de Jean-Claude Servais, un auteur qui, à l'abri de toutes les modes et de toutes les tendances, aura construit une œuvre qui ne ressemble à aucune autre.