L
e premier tome des Meilleurs ennemis s'achevait en 1953 sur le succès de l'opération « Ajax » menée par la CIA pour déloger le président Mossadegh et installer le Shah aux commandes de l'Iran. Dans les faits, cette « réussite » n'offrira qu'un très court répit aux Américains, car ce dirigeant se révélera être un dictateur timoré dont les actions engendreront, en 1979, une révolution d'un genre inédit qui bouleversera l'équilibre de la région et du monde. Mais n'anticipons pas : en cette fin des années cinquante marquée par une Guerre Froide de plus en plus glaciale, le centre de gravité géopolitique glisse à l'Ouest. En Égypte, Nasser rêve de panarabisme et, apeuré, Israël s'arme et se prépare au pire, tandis que le petit Liban va se retrouver dans le rôle de la victime des ambitions de ses voisins. Les USA vont devoir faire des choix et trouver d'autres alliés dans une poudrière qui, aujourd'hui encore, menace d'exploser à tout moment. In God we trust, inch'Allah et mazeltov !
La seconde moitié du XXe siècle a vu la multiplication des incidents internationaux. Attisé par le conflit larvé entre les deux Blocs et la désintégration finale des empires coloniaux, il n'y a pas un instant où la planète ne semble pas s'enflammer. Les confrontations se compliquent avec l'apparition de nouveaux joueurs, les alliances d'hier se retournent et créent des situations ubuesques et sanglantes. Jean-Pierre Filiu et David B. font de leur mieux pour dérouler la pelote et raconter le plus clairement possible les relations à géométrie variable entre les États-Unis et le Moyen-Orient. Le résultat est dense, parfois confus – faute de place, les auteurs ont été forcés de condenser leur propos au-delà de l'entendement -, mais toujours passionnant. Même élagué de différents détails, l'album se lit comme un thriller à haute tension. La réalité est bel et bien plus forte que la fiction !
Évidemment, le côté BD de l'ouvrage souffre quelque peu de la quantité d'informations présentée en son sein. David B. propose néanmoins des planches d'une très grande lisibilité, grâce à un sens de la composition très affûté. Les nombreuses métaphores graphiques, à la fois intelligentes et élégantes, permettent de « faire passer » les notions géopolitiques les plus ardues. Alors, certes, une pagination plus généreuse ou une bibliographie n'auraient pas été de trop, mais Les meilleurs ennemis trouve tout à fait sa place aux côtés de Gaza 1956 de Joe Sacco et du Complot de Will Eisner.