Ah oui, quand même, la couverture, il fallait oser. Au moins n’induit-elle pas en erreur sur le contenu - c’est n’importe quoi - ou tout du moins invite-t-elle le lecteur potentiel à reconsidérer son envie initiale à deux fois.
Comment expliquer la chose ? C’est complétement con, ça c’est une certitude, mais en même temps c’est terriblement bon. La manière de narrer de Simon Hanselmann est assez atypique, en ce sens qu’il semble se laisser guider par ses personnages de manière peu ou prou improvisée. Vaste programme, sachant que le trio qui fait titre, Megg, Mogg & Owl, est tout aussi improbable qu’imprévisible. Megg est une sorte de sorcière adulescente au corps verdâtre qui traîne son ennui et son apparente nonchalance de case en case. Dans cette saine inactivité, elle est accompagnée par Mogg qui est lui représenté en chat (format chat pour de vrai, pas une version Blacksad), ce qui ne l’empêche pas de goûter la plastique avantageuse de sa camarade - quand même assez cradingue par certains aspects -, quand il n’est pas trop défoncé, au réveil par exemple. Enfin, il y a Owl, espèce de hibou fait homme, leur trompe-l’ennui, leur souffre-douleur, leur sex-toy ; mais avant tout leur Ami. Tous sont de gros drogués.
Que font-ils ? Là, la réponse est facile : rien, ils s’ennuient, consomment de l’alcool et de l’herbe qui rend nigaud (et plus si affinités), puis advienne que pourra. Vaste champ des possibles ouvert par Simon Hanselmann qui ne se prive pas pour en explorer les recoins. Ça part alors aussi bien dans des délires psychédéliques qu’en couille, grave. Le tout sans grande cohérence, mais peu importe, c’est un peu le principe de cette suite d’histoires courtes à la rythmique atypique et surprenante. Parfois il ne se passe rien, parfois ça part dans tous les sens, sans prévenir. Ne pas se fier à l’apparente atonie de Megg, à son regard vide, à la placidité de Mogg, ça ne présage jamais rien de bon, si ce n’est le calme avant la tempête (ou le calme avant le calme, aussi). À l’opposé, la profonde bêtise d’Owl ne trompe pas, il ne repartira jamais sans avoir tendu l’autre joue. De la complémentarité…
Le tout se passe dans un environnement fluctuant et insignifiant qui en dit long sur la perception qu’ont Megg & Co de ce qui les entoure et renvoie inexorablement au sous-titre Maximal spleen. Derrière le côté régressif et souvent jouissif de ce que narre le dessinateur avec son trait de sale gosse, émerge un certain malaise mis en évidence par un humour qui fonctionne bien souvent à contretemps, tant pour surprendre que pour laisser le temps de s’interroger. Ça fleure bon l’adolescence, mais il n’est pas certain que les protagonistes en soient - comme le sentiment d'un immense gâchis. Alors, petit à petit, s’immisce l’idée de quelque chose de moins joyeux, mais aussi de plus fin qu’il n’y paraît de prime abord.
Pour se faire une idée de visu, c'est là que ça se passe...
L'avis de D. Wesel
Les éditions Misma et Simon Hanselmann, auteur de son état et heureux détenteur d’un cerveau passablement embrumé, ont le plaisir de vous présenter Megg, Mogg et Owl.
Qui ça ?
Megg : sorcière, junkie à ses heures perdues (c’est-à-dire tout le temps).
Mogg : chat, n’est pas en reste quand il s’agit de fumette (avec en plus un petit penchant pour le sexe qui fait son charme).
Owl : hibou et tombeur de ces dames (bien que souffre-douleur préféré de ses amis).
Tout cela est bien beau, mais au fond, quel est le propos ?
Au premier degré, c’est très simple : éloge de la paresse, usage massif de psychotropes, blagues salaces et délires scatos se partagent la vedette, ne laissant au bon goût que peu d’espace pour s’exprimer. Vous voyez le tableau d’ici : dire qu’il est peu reluisant est un doux euphémisme.
C’est très vendeur, dites-moi. Et au second degré, qu’est-ce que ça donne ?
Ah, en arrière-goût, il y a une petite surenchère qui vient pimenter l’affaire. « Jusqu’où ira-t-il donc ? », se demande le lecteur saisi d’un plaisir coupable et quelque peu voyeur. La réponse est : « Jusqu’où il veut, avec un humour nihiliste bien à lui. »
Âmes sensibles s’abstenir, donc ?
Sensibles, sensibles, je ne sais trop. Disons que si vous ne supportez pas la vue d’une couille râpée ou si les concours de pieds pourris ne vous disent rien, il vaut peut-être mieux passer votre chemin, c’est sûr. Mais il faut aller au-delà des apparences, voyez-vous, plonger dans la psyché des personnages, se gargariser de leur mal-être et percer leur carapace de pauvres hères blasés de la vie et dépités par le monde.
Diantre ! Y aurait-il donc quelque message subliminal sous ce déluge de crasse ?
Mais bien entendu ! Vous croyez que c’est par hasard que ça s’appelle Maximal Spleen ? Non, bien sûr que non ! C’est la société qui est vilipendée, celle qui aliène, qui dépenaille, qui fait succomber à la décadence et à l’ennui. C’est elle qu’il faut pourfendre, pas cette pauvre Megg désœuvrée, ni un Mogg en mal d’espérance. Et encore moins ce bougre d’Owl, qui fait ce qu’il peut pour baiser même s’il a une tête d’emplumé.
Soit. Mais fallait-il être à ce point repoussant ? Non mais, vous avez vu cette couverture ? Et ces couleurs fadasses ? Et ce coup de crayon qui ne ressemble à rien ?
Mais vous n’avez donc rien compris, béotien que vous êtes ? La force du message ne tolère aucun compromis ! Le laid l’emportera, mon bon monsieur ! Le vomi sera la peinture de demain ! Je déféquerai dans la bouche du premier qui prétendra le contraire !
Vu comme ça, évidemment…
Tenez-le vous pour dit : désormais, l’art sera régressif ou ne sera pas !