Le 22/03/2024 à 15:59:06
Un énième roman graphique... Lora Lorente, autrice espagnole, y raconte une histoire empreint de réel : une femme de 34 ans revient dans sa maison d'enfance, où plane l'absence des figures maternelle et paternelle... J'ai été pris d'intérêt par l'esthétisme de cette BD, au trait fourni et granuleux. L'absence de polychromie, contrairement à ce que pourrait laisser penser la couverture, souligne cependant l'indigence du personnage principal et donne un ton plutôt terne à l'intérieur. Pendant la première partie de cette BD, je dois avouer que je me suis un peu ennuyé... Le rythme y est figé, comme pour mieux montrer l'immobilisme de Mary Pain. Probablement aussi que je manque de tolérance vis-à-vis des égo-fictions, courantes dans le marché du livre. L'abondance des planches nuit parfois à leur raffinement. Pourtant, le travail de Lola Lorente est colossal et elle a le mérite d'aborder des sujets intéressants, dans une perspective singulière, allégorique : le regard culpabilisant des bigots, les drames familiaux, l'aide aux soins qui n'est pas rémunérée, la sexualité, l'expropriation... De plus, avec une figure féminine à la personnalité profonde, ronde sans être complètement empâtée, mais aussi très sensible, l'autrice casse les codes. Ses faux airs de Lolita, son déhanché insouciant, son look éclectique, mi-punk mi-princesse... Mary Pain électrise son monde. Elle doit faire face à une flopée de problèmes... et pourtant, elle procrastine. Toutefois, à partir du milieu de la BD, la narration s'accélère, prenant un rythme endiablé, qui évoque le sursaut de Mary Pain. Il y a des surprises, autant dans le scénario que dans le cadrage des plans, osés, et dans l'esthétique un peu grasse, spongieuse, hypnotique... en un mot, underground. Le corps charnu de Mary Pain prend alors une dimension érotique, expérience nouvelle pour moi... comme du Crumb, mais en mieux. La touche féminine sûrement... Finalement, je dois admettre que je suis touché par ce jeu irréel avec les fantasmes, mais aussi et de manière différente, les angoisses de Mary Pain.Le 09/07/2023 à 23:11:48
Publié en Espagne sous le nom de "Maganta" (mot spécifique de la région d'origine de l'autrice, la traduction proposée dans l'édition française est "feignante, pâle et pensive"), Mary-Pain est d'abord la fin d'une fuite en avant, le retour contraint à la maison, le sentiment d'échec qui l'accompagne. Même si l'histoire semble hors du temps, elle fait echo aux crises (immobilière puis économique en 2008) qui touchent de plein fouet l'Espagne, comme Lola Lorente l'explique dans une de ses interviews. Puis ce sont les attentions des gens qui ne sont jamais partis qui se portent sur la personnage principale, leurs attentes, leurs regards culpabilisants, en plus d'être vaguement grossophobes. Elle a déjà trente-quatre ans, de quoi déjà être mère comme ses amies d'enfance. Elle semble plutôt être une adolescente un peu rêveuse, pas autonome, une artiste dans l'âme qui ne trouve pas sa place dans le village. Dans la même interview, l'autrice réfute que Mary-Pain soit autobiographique, mais reconnait y avoir retranscrit une partie de ses sentiments quand elle a dû retourner chez elle lors de la crise. Enfin, c'est le poids des souvenirs, d'un deuil qui ne s'est jamais fait, qui va paralyser Mary-Pain. Loin de représenter les rêvasseries de sa personnage sous une quelconque forme onirique, Lola Lorente préfère mettre en image, souvent dans un gaufrier 2 x 3, ses errances à travers la maison, la piscine, ou dans le village. La patte graphique est très organique, personnelle, une maturation des styles de Ludovic Debeurme (surtout), d'un peu de Charles Burns et peu Robert Crumb, et plus globalement tout un pan de l'alternatif des années 90. Le bouquin n'est pas aussi noir que ce qu'il laisserait paraître. Lola Lorente insuffle un peu de bizarrerie et de positivité dans des rencontres et des moments-clés, éléments nécessaires pour que Mary-Pain, "enfant" espagnole de la fin des années 2000, puisse enfin tourner la page.BDGest 2014 - Tous droits réservés