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i]Markheim… J’étais revenu à Markheim… C’était un soir d’hiver et il neigeait... Dieu que j’aimais cette ville… Mon cœur en était chaviré…
À donner au livre le nom de la ville qui lui tient lieu de théâtre, les auteurs ne se sont pas trompés. Tout gravite en effet autour de Markheim, cité mystérieuse que Marcelé dépeint d’emblée sous une grisaille semble-t-il impénétrable. À ce lieu qui s’impose immédiatement, le temps dispute constamment le premier rôle. La tête d’affiche, en effet, est de tout temps déniée au personnage central, Ans, tantôt jeune, tantôt vieux, agent secret dont on ne sait s’il est lui-même au fait de sa mission. Du début à la fin, en une boucle étourdissante, l’homme paraît effectivement rejouer une scène oubliée tandis que la mémoire, le fuyant avant de lui revenir douloureusement, ne cesse de lui jouer des tours. Jeune, il se projette dans l’avenir, assailli par des images inconnues du vieillard qu’il sera peut-être. Vieux, il revient sur ses pas, obnubilé par ce double qui lui mène la vie dure autant que par une ville de Markheim qui semble cristalliser sa douleur. À moins qu’elle ne soit sa planche de salut ?
De cet aller-retour perpétuel, les auteurs font un enchantement : la beauté sombre et triste de la ville recouverte d’un manteau plus gris que blanc fascine autant qu’elle séduit, alors qu’une unité graphique exemplaire s’ingénie à perdre le lecteur dans un épais brouillard où se confondent passé et présent. Cartésien, le récit ne l’est à aucun moment. Au contraire, il prend par la main, enjôle pour ensuite se dissiper et laisser place à la perplexité, au doute, à un inconnu qui se pare de ses plus beaux atours. La finesse du dessin n’y est pas pour rien, tant le trait crayeux de Marcelé parvient, dans une longue inspiration, à instaurer des atmosphères à la grâce envoûtante. La beauté des corps, tant du jeune héros et que de sa séduisante dulcinée, est le pendant d’une vieillesse qui torture les visages et les peaux : le temps marque au fer rouge, blesse au-delà de toute possible guérison. À moins que le passé ne porte en lui toute l’espérance dont on a besoin au seuil de la mort ?
Comme toujours aux éditions Mosquito, les noms des auteurs sont particulièrement mis en avant sur la couverture. Ce parti-pris a pour mérite de mettre en lumière ce qui est une évidence : c'est bel et bien une œuvre d'auteur qu'offrent Rodolphe et Marcelé. Le décor est splendide, à chacun de s’y plonger…
Les avis
Erik67
Le 07/11/2020 à 12:04:16
Le concept de cette histoire est assez original avec ce rêve inversé qui semble concerné la même personne à deux époques différentes. Reste un lieu commun à travers cette ville de Markheim située en Europe de l'Est et vraisemblablement détruite au cours de la Seconde Guerre Mondiale sous un déluge de bombes.
Comme dit, ce récit m'a intrigué du fait de cette linéarité du temps qui semble être inversé. Cette vision du futur pour un jeune et bel homme dans la force de l'âge peut faire peur. C'est une prise de conscience que le temps avance et qu'il peut détruire tout ce qui nous entoure jusqu'à une ville.
C'est une belle métaphore qui trouvera bien entendu une explication finale. C'est doux-amère à la fois. Ce n'est pas forcément une lecture qui revigore.
jeff2u12
Le 14/01/2018 à 12:08:23
Dans une ambiance graphique qui colle parfaitement au scénario (à moins qu'elle ne le porte à son extrémité), une histoire où laz nostalgie et les fantômes ont la part belle. Marcelé, dont l'originalité reste quand même ce qu'il a fait jusqu'à Mémoire de Chat, trouve ici un renouveau qu'il a également dans la nouvelle version de Macbeth. Le script de Rodolphe est impeccable et nous berce dans un demi-rêve nostalgique et ha,té par la mort qui prend aux tripes jusqu'au dénouement final (fatal).
xav kord
Le 31/03/2014 à 22:42:16
Je viens de découvrir cet album très (trop !) confidentiel. Pourquoi la qualité est-elle si souvent cachée ?