A
ldebaran. Drôle de nom pour un cargo. D'autant que celui amarré depuis des mois à Marseille ne brille plus depuis longtemps, la faute à son armateur grec qui a fait faillite. A son bord, trois hommes. Le commandant, Abdul, son second, Diamantis et Nedim, un turc qui rêve de rentrer chez lui. Errant comme des âmes en peine sur la vieille carcasse du navire, ils ne parviennent pas à mettre pied à terre, à affronter la réalité qu'ils fuient depuis des années. Leur vie sentimentale est un échec. Medina, l'épouse de Diamantis, a quitté son mari tandis que Céphée, la compagne d'Abdul, est sur le point de le faire. A quoi se rattacher maintenant ? Vaut-il mieux se trouver un nouveau but ou s'accrocher à des vieilles chimères ? Au fin fond du port de la capitale phocéenne, trois marins perdus tentent de donner un sens à une existence sans but.
Les Marins Perdus est l'adaptation d'un roman de Jean-Claude Izzo publié en 1997. Marseille, ville de métissage, ô combien cosmopolite. Abdul, Diamantis et Nedim, trois étrangers qui ont ensemble traversé les mers sans pour autant chercher à se connaître vraiment. Des hommes qui vont finalement se révéler à travers un drame dont ils seront les propres acteurs. La tâche de Clément Belin, dont c'est la première bande dessinée, s'avérait plus que difficile tant le récit original joue beaucoup avec les ambiances et la psychologie des personnages. D'ailleurs, le début du récit est un peu poussif. Une voix off trop présente, des dialogues parfois lourds, peu d'action. Pourtant, au fil des pages, le charme opère. Les questions existentielles des trois marins se révèlent être universelles. Qui n'a jamais fait un point sur sa vie, en regardant le chemin parcouru, en se demandant si la route qu'il a suivie est bien celle dont il rêvait, plus jeune ?
A aucun moment, les trois hommes n'ont pris le temps de le faire. Réfugiés dans leur travail, évitant toute remise en cause, isolés dans leur cocon de tôle au milieu de l'océan, ils hésitent à quitter le navire pour rencontrer, enfin, leur destin. Et quand ils foulent le sol, c'est une véritable tragédie qui les emporte, plus terrible que la plus puissante des tempêtes. Un passé qu'ils fuyaient depuis des années et qui va, finalement, révéler leur avenir.
Ancien marin de la navire marchande, Clément Belin s'appuie sur son vécu pour dresser un portrait très réaliste du port de Marseille et des cargos qui y sont amarrés. L'intérieur des bâtiments est détaillé avec précision. Concernant les personnages, certaines expressions sont de temps en temps approximatives et peinent à retranscrire les émotions. Quant aux couleurs, l'auteur a opté pour des ton ocres, omniprésents du début à la fin, un choix, au demeurant très esthétique, mais qui affadit parfois le dessin.
Thriller portuaire ? Roman noir ? Chronique sociale ? Les Marins Perdus mélange les genres. Même si l'adaptation de Clément Belin a parfois du mal à recréer précisément les ambiances du roman original, l'album présente une histoire touchante, cohérente et très humaine. Le style d'ouvrage à amener sur la plage en regardant passer les bateaux.
Les avis
Erik67
Le 27/11/2020 à 08:28:54
Le dessin est réellement magnifique avec une excellente mise en couleur. Cela concourt à rendre une ambiance particulière à ce récit de marin à quai. Or comme chacun le sait, un marin sur terre est un homme perdu ou autrement dit à la dérive...
L'histoire ne m'a pas particulièrement passionné mais on se laisse prendre par une certaine atmosphère qui ne vous quitte plus d'autant que j'ai également fréquenté ces lieux autrefois.
Il y a également une expressivité du trait qui semble fascinante. Une douce mélancolie vous envahit tout doucement. Ce n'est pas forcément bon pour le moral. Mais bon, c'est cette bd qui veut cela !
jmalaurief
Le 19/07/2009 à 23:21:47
Les marins du cargo l'Aldebaran se retrouvent à quai sur le port de Marseille. Leur armateur, véreux, n'a pu honorer ses dettes. Le bateau est coincé par la justice. Les marins ont le choix partir avec un petit pécule ou rester sur l'Aldebaran jusqu'à une improbable décision de justice.
Seuls Abdul, le capitaine, et Diamantis, son second, décident de rester. Chacun pour des raisons obscures et très personnelles. Abdul vient de se faire larguer par sa femme et Diamantis souhaite profiter de ce séjour forcé à Marseille pour partir à la recherche d'une femme, Amina, dont il était tombé amoureux vingt ans plus tôt. Tous deux tentent à leur façon de (re)donner un sens à leur vie.
Mais Nédim un des marins perdus, revient au cargo. Son argent dilapidé auprès de jeunes femmes qui l'ont entraîné dans un bar louche, Nédim vient chercher du secours. Il veut récupérer son sac et son passeport laissés en gage. Diamantis prend les choses en main. Mais le passé ressurgit, avec violence.
Marseille, ville métisse, ville de marins, sert admirablement de toile de fond à cette histoire. L'intrigue est formidablement bien construite et mise en image. Le talent de Jean-Claude Izzo nous plonge dans une atmosphère très particulière. Chaque personnage, même secondaire, apporte à l'intrigue une ampleur et un réalisme qui ne se démentent pas. Les tourments des uns et des autres, la gaieté des plus jeunes, matinée d'insouciance, met en exergue les difficultés des quadras à vivre avec leurs souvenirs, leurs tourments. La confrontation de chacun est l'occasion d'évoquer les sentiments passés et de vivre de nouvelles émotions. Franche pour les premiers, ambivalentes pour les seconds, ces émotions servent d'ossature dramatique à leurs aventures.
Pour Clément Belin, jeune auteur, cette histoire c'est un peu sa vie : installé à Marseille, Clément est aussi marin. La question des marins abandonnés sur leur navire est un problème qui lui est familier. Pour cette première oeuvre, Clément Belin a su rendre à merveille les ambiances et le réalisme de l'histoire.
Cette nouvelle adaptation après Shutter Island de Christian de Metter et Dennis Lehane, d'un polar est une franche réussite. Un film éponyme de Claire Devers, avec Bernard Giraudeau, Audrey Tautou et Marie Trintignant est sorti en 2003.
pierre999
Le 11/07/2008 à 21:13:31
D'accord avec le chroniqueur...pour une fois... :-) MAis pourquoi dès lors donner cette cote si basse ??? Perso, je ne suis pas un fana des BD qui se veulent "branchées" et qui ne passionnent que les FAUX amateurs de BD (des intellos à la noix, bobos de 1ère aux vernissages de trucmuche...), bref, j'avais une méfiance de chez méfiance...MAis, à la lecture...: je râle souvent pour ces séries à rallonge, mais ici, quel regretssss de ne pas avoir l'espoir d'un 2ème album, si pas un 3ème...Dessins et sujet sortant enfin de l'ordinaire !! Marre des thrillers techno ou des séries pseudo SF et ne venant pas à la cheville d'un Valérian ou Bilal ou Bourgeon ou Bec ou Bajram et sauf Orbital et La saison de la couloeuvre, entre autres (ben ils sont qd même nombreux...). Bref, enfin qlq chose à se mettre sous la dent (je citerai aussi Magasin Général", sortant de l'ordinaire, stop, plus de comparaison, promis !)
Et le dessin : au 1er abord, là aussi j'ai failli ranger l'album là où il se trouvait...Mais, je ne sais pas, il y a eu un déclic qui a fait que, ben non, je le prend ! Et surtout la chance d'avoir un libraire qui accepte qu'on lui rende une BD que l'on n'a pas appréciée...Et même une série que l'on aurait loupé ! Non, je ne le citerai pas, trop de parasites risquent de lui casser les pompes ou de profiter de lui (déjà que bcp le critique...Mais CES "critiqueurs" ne le connaisse pas...Faut savoir "le prendre !!Il se reconnaîtra je pense). Bref (?) la lecture de cette BD m'a vraiment scotchée : une histoire originale (Je n'ai pas lu le roman, donc pas possible de comparer), un dessin "spécial" mais sans être pseudo-intello-bobo-cadro supérieur-à-la-mode), des couleurs peut-être un peu trop dominante tout au long de l'album (même avis que le chroniqueur), MAIS qui donne un "ton égal" à l'histoire...Peut-être trop égal...MAis bon, ne chippotons pas : je répète : même les amateurs de "classiques" ne pourront qu'aimer cet album !!!
ET ILS NE POURRONT PAS DESCENDRE EN FLAMME MA CRITIQUE (Oups, je deviens très très présomptueux...MAis j'ai bien dit : "en Flammes" : je prends donc le pari de critiques, mais pas d'enfer...:-) ).