Info édition : Avec jaquette. Avec un marque-page cousu. Avec 32 pages de notes et bibliographie.
Résumé: Quel rôle les femmes ont-elles joué dans la grande histoire de la Bible? À quels moments le corps et la sexualité ont-ils influencé le récit de ce mythe fondateur ?
En s’interrogeant sur les raisons qui poussent Matthieu à intégrer cinq histoires de femmes dans sa généalogie de Jésus, Chester Brown développe un point de vue audacieux sur l’usage du corps et de l’argent dans les Évangiles. Il s’approprie ainsi neuf passages, extraits des Écritures, qui remettent en question le tabou de la prostitution, la fonction première du don et l’obéissance aveugle à Dieu.
Les destins croisés de Tamar, Rahab, Ruth, Marie et Bethsabée nuancent l’idéologie enracinée d’un corps féminin procréateur et immaculé. Loin d’être puni, le travail sexuel apparaît comme un état de fait, où la femme devient complice de la volonté de Dieu. De la même manière, les adorateurs imbéciles qui suivent avec acharnement les consignes du Tout-puissant ne sont pas pour autant récompensés. Bien au contraire, désobéir permet de prouver sa valeur.
Très documenté, ce nouvel angle de lecture est explicité par l’auteur à travers de nombreuses sources et extraits bibliques. Ces notes témoignent d’un travail de recherche prodigieux qui met en perspective le propos singulier soutenu par Chester Brown. Livre ambitieux et suggestif, Marie pleurait… présente avec justesse un regard moderne sur un texte antique dont les influences se mesurent encore aujourd’hui dans notre société.
C
hester Brown continue à porter sa croix et à prêcher sa bonne parole dans Marie pleurait sur les pieds de Jésus. Toujours avec la même démarche quasi-névrotique pour expliquer et se justifier, l'auteur de Vingt-trois prostituées remonte aux sources de la morale judéo-chrétienne pour démontrer que le plus vieux métier du monde fait partie intégrante de notre société. Pour ce faire, il a sélectionné quelques épisodes édifiants dans l'Ancien et le Nouveau Testament.
Même si, parfois, Brown prend des allures de Don Quichotte, son approche méticuleuse et ultra-documentée (les notes, précisions et références représentent plus du tiers de l'ouvrage) repose sur une sincérité et une forme de culot impressionnants. En effet, en plus de citer nombres de spécialistes du sujet, il n'hésite pas à proposer ses propres conclusions sur la signification de tel ou tel verset des Écritures. À plusieurs reprises, il commente avec l’œil du scénariste des anecdotes qui lui paraissent trop moralisantes pour être véritablement honnêtes. Ce mélange entre érudition scientifique et vision de l'artiste est, certes, amusant, mais ne parvient pas à masquer le ton parfois très militant et à charges du propos. D'ailleurs, le Canadien ne s'en cache jamais, il veut avant tout faire tomber par l'exemple les préjugés qui entourent la prostitution.
Sur le plan de la BD pure, le travail du dessinateur se révèle d'une rare élégance. Le sévère découpage (quatre cases uniformes par page) donne une tenue certaine à l'album qui n'est pas sans rappeler l'austérité des bréviaires. Cependant, le trait précis et chaleureux et la mise en scène exemplaire rendent ces récits et autres paraboles particulièrement attachants. Les personnages, les femmes en premier lieu évidemment, sont dépeints avec une délicatesse et une déférence remarquables.
Entre essai et confession, Marie pleurait sur les pieds de Jésus s'ajoute à une des bibliographies les plus originales et étonnantes du Neuvième Art. Chester Brown bâtit, tome après tome, une œuvre révélatrice et sans aucune mesure.