«
- Dis Mike…
- Oui ?
- Entre Ryôji et toi, c’était qui le mari et qui l’épouse ?
- Aucun de nous n’était l’épouse… Nous étions deux husbands. »
Trentenaire divorcé et papa d’une fillette, Yaichi mène une existence plutôt calme et ne se pose pas trop de questions. Mais l’arrivée d’un géant barbu chez lui vient bouleverser son quotidien et ses certitudes. Et pour cause, ce Mike Flanagan n’est autre que le mari de son jumeau, récemment décédé et qu’il n’a pas revu depuis de longues années. Si la petite Kana s’enthousiasme aussitôt de découvrir cet oncle canadien porté sur la culture nippone, qu’elle invite derechef à s’installer, son père, lui, éprouve des réticences vis-à-vis de ce beau-frère homosexuel dont la seule existence le contraint à se remémorer le passé et le confronte à ses propres préjugés autant qu’à ceux de la société.
Hormis le yaoi et ses amours masculines ou son pendant sapphique, le yuri, rares sont les mangas qui abordent de front l’homosexualité et tous les questionnements qu’elle peut soulever. Un manque que Gengoroh Tagame vient pallier avec sa nouvelle série publiée par Akata, Le mari de mon frère. Loin des arènes (Virtus, Arena) et des camps de prisonniers (Goku), l’auteur, spécialisé dans les titres gay à consonance érotique, livre un récit bon enfant visant à décortiquer les clichés autour de ceux qui aiment les personnes du même sexe.
Par le truchement d’une enfant aussi curieuse qu’innocente, il soulève les interrogations que beaucoup n’osent pas formuler, préférant se retrancher derrière un malaise et une vague politesse. Au gré des deux premiers tomes, il varie les situations, élargissant progressivement le champ (de la maison aux environs) et les interactions (des voisins ou proches intervenant peu à peu). Certaines activités les plus simples – sortir de la salle de bain en petite tenue par exemple – obligent Yaichi à réfléchir à ses réactions et à celles des autres. Plus largement, il n’est pas seulement question de la préférence sexuelle d’un des personnages, mais aussi du comportement habituel qui peut changer en présence d’un invité mal connu ou de quelqu’un de différent. L’enthousiasme de Kana et le ton résolument enjoué contribuent à rendre l’intrigue légère malgré le sérieux des thèmes abordés. Le lecteur se sent happé par le regard positif porté et se prend au jeu. Le côté didactique n’est pas oublié puisqu’à la fin de chaque chapitre sont proposées quelques informations sur la communauté homosexuelle. Graphiquement, Gengoroh Tagame délaisse les corps musculeux – sauf peut-être celui de Mike – et propose des planches aérées au découpage précis. Son trait se révèle expressif et ses cadrages sont bien choisis, avec une mention spéciale pour les passages où Yaichi affronte dans son propre regard à la fois ses idées préconçues et l’ombre de son frère défunt.
Une série qui aborde un sujet encore tabou, se lit avec plaisir et donne très envie de connaitre la suite. Ça tombe bien, le troisième volume paraîtra fin janvier 2017.
Les avis
Erik67
Le 11/04/2021 à 10:07:35
Le second tome n'a fait que confirmer tout le bien que je pensais de cette série assez particulière qui met en scène un gay qui va devenir le mari du frère jumeau de Yaichi qui est un vrai hétéro. Pour ceux qui pensait qu'il va virer homo, c'est faire fausse route. Il va simplement évoluer dans sa conception de ce que sont les gay et trouver une articulation convenable pour le bien de son adorable fille Kana qu'il élève seule.
On va d'ailleurs faire connaissance de son ex-épouse qui n'est pas morte mais qui a préféré abandonner la garde de sa fille Kana en lui laissant le soin de l'élever seul. Elle est en effet mariée à son travail alors que Yaichi est rentier d'un immeuble laissé en héritage par ses parents.
L'ex-épouse en question est présentée sous un regard assez favorable et accepte Mike pour ce qu'il est. On se demande alors les raisons du divorce. Yaichi lâchera qu'il n'a pas pu gérer les conséquences du mariage. C'était si dur que cela alors qu'ils ont l'air de sin bien s'entendre ?
Kana est une adorable petite fille car elle n'a aucun préjugé et son rôle sera déterminant pour faire évoluer le point de vue de son père qui est sous l'influence d'une société nippone bien moins ouverte qu'annoncée au départ. Yaichi va faire un gros effort sur lui-même également pour avancer.
On aura droit à un petit intermède sur la culture gay à savoir le drapeau arc-en-ciel symbolisant la diversité. On apprendra également que le Japon n'autorise pas le mariage gay.
Il y aura également un intermède sur le coming-out (littéralement sortir du placard). Il est dommage de ne pas avoir poussé la réflexion plus loin sur le fait qu'un hétéro n'a pas besoin de faire un coming-out ce qui constitue déjà en soi une espèce de discrimination sauf à considérer que cette situation est normale.
A noter également une grande place qui est laissée à la gastronomie japonaise et de tout un certain art de vivre.
La série reste très soft sur le fond et la forme afin de ne pas heurter les différentes sensibilités. C'est un tome où les liens se resserrent entre les membres de cette famille pas comme les autres. Bref, cela demeure une belle découverte !