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oms, romanos, romanichels… ? Ils sont les tziganes, bohémiens, ou gitans, pour la majorité de la population. Les Gens du voyage, pour l’administration. À leurs yeux, manouches, tout simplement. Arpentant les routes de France depuis des siècles, ostracisés de manière institutionnelle par l’État, cultivant une défiance réciproque entre nomades et sédentaires, ils ont conservé quasi intact un mode de vie passablement méconnu. Pourtant, entre Archange Maier, dit Tinoir, figure patriarcale respectée, et Daniel, le gadjé, instituteur itinérant auprès d’eux, le dialogue, puis l’amitié, s’installent. C’est l’occasion, en confrontant leurs points de vue, de faire le portrait d’un homme mais aussi, à travers lui, d’écrire la saga familiale et in fine de dépeindre toute une communauté.
Cinquième album de Kkrist Mirror abordant la thématique des gitans de France, après notamment un album remarqué consacré au camp de concentration tzigane de Montreuil-Bellay, il embrasse ici plus largement son sujet en évoquant près d’un siècle d’histoire. Des premiers recensements obligatoires aux déportations, des liens avec les roms d’Europe de l’Est aux relations avec les autorités du pays, l’éducation, la religion, la culture, la famille, les tracasseries administratives, les expulsions à répétition, c’est un panorama aussi large que possible de la réalité quotidienne qui est ici dressé. Avec, en prime, le portrait intimiste de Tinoir, seul réel fil conducteur du livre. Son histoire personnelle, ses réflexions profondes, sa tendresse envers les siens, facilitent l'ancrage du récit dans une réalité tangible. Au risque parfois de dérouter un peu l’audience, la looongue scène finale de funérailles se perd en introspection ésotérique doublée d’un onirisme bon teint qui alourdit passablement la lecture.
Le parti-pris graphique est bien en phase avec le ton de l’album. Les décors sont simples, parfois juste esquissés, et toute l’attention de l’auteur se concentre sur les personnages. D’un crayonné souvent nerveux il croque sur le vif ses héros, et son affection pour eux transparaît aisément malgré les noirs charbonneux qui prévalent dans son trait. Le découpage en revanche demeure relativement statique et peine à contrebalancer la raideur des attitudes, d’où un rythme général assez indolent. Mais il faut avouer aussi que le sujet ne se prête pas forcément à une mise en page échevelée ! À noter qu’une riche postface rédigée par l’historienne Henriette Asséo vient renforcer l’intérêt historique et sociologique de l’ouvrage en éclairant judicieusement les propos développés tout au long de l’album.