Résumé: À la mort de son père, Edmée, une jeune fille de 16 ans, quitte Bruxelles pour s'installer chez des cousins, au coeur de la Flandre. Le contraste est brutal entre les lumières de la grande ville et l'ambiance pesante de la campagne flamande, sillonnée de canaux et plongée dans une lumière blafarde. Pour Edmée, le choc est d'autant plus rude que, le jour de son arrivée, c'est le père de sa nouvelle famille qui décède à son tour. Pour ne rien arranger, elle découvre que les finances familiales se révèlent moins florissantes qu'annoncé. Désormais, elle va devoir apprendre à se faire une place parmi ses six cousins et cousines, aux tempéraments si différents. Entre attirance et répulsion, entre lourds secrets et jeux de séduction parfois ambigus, l'atmosphère se délite peu à peu, ouvrant la voie à un drame que rien ni personne ne pourra empêcher... Dans un récit qu'il considérait comme son premier « roman libre », Georges Simenon explore les tréfonds de l'âme humaine et ses noirceurs. José-Louis Bocquet et Édith en livrent une adaptation qui met à nu l'humanité des personnages, et dans laquelle le graphisme rend presque palpables la pesanteur de leur quotidien et le poids accablant de leur destinée.
B
elgique, 1931. Orpheline, Edmée est placée chez des cousins à la campagne. Passer de Bruxelles au cœur des Flandres est un choc en soi et un changement de vie radical. La jeune fille doit aussi apprendre à composer avec un clan aux traditions ancrées dans le passé et la glaise collante de la région. Sans compter que l’apparition d’une jolie demoiselle en fleur habillée à la dernière mode de la ville pourrait également bien déclencher quelques réactions exacerbées auprès des messieurs, ainsi que de la jalousie de la part des femmes du lieu…
Après avoir appris le métier à la dure pendant dix ans et trouvé le succès avec Maigret, Simenon voulait passer aux choses «sérieuses» et écrire des textes plus littéraires, mettant l’emphase sur les caractères plutôt que sur l’intrigue seule (policière ou pas). Même si le célèbre Commissaire continuera à alimenter son compte en banque et sa notoriété, il se lance dans ce qui sera appelé ses «romans durs». Publié en 1933, La maison du canal est un de ceux-ci. En plus de proposer une série de portraits à la psychologie ciselée, l’auteur a situé son étude dans un cadre et une ambiance tirée de sa propre histoire familiale. Cette «Irrigation», ce domaine sillonné de canaux situé dans un polder est basé sur une ferme tenue par quelques parents pas si éloignés que ça. Même si l’écrivain n’a pas connu lui-même cette époque, il s’est servi de souvenirs familiaux pour donner de la chair à son récit.
Sur le papier, cette apparition d’un élément étranger dans un univers clos et vitrifié débute classiquement. Cependant, à partir de ce canevas tout simple, Simenon va tisser une véritable toile d’araignée concentrique, faite de sentiments refoulés, de secrets inavoués et de non-dits répétés de génération en génération. Petit à petit, une fois ce substrat en place, tous les développements qui s’ensuivront pointeront vers une fin funeste. Pris indépendamment, chaque acteur n’est pas spécialement mauvais. D’autant plus que ces derniers, faute d’imagination, se satisfont très bien de survivre à l’usure du temps. L’arrivée d’Edmée va évidemment changer les dynamiques et inlassablement éroder les liens qui maintiennent ce fragile statu quo encalminé. Les erreurs des uns, l’ignorance des autres et l’apathie généralisée ne résisteront pas et l’édifice va s’écrouler. Oh, rien de brutal ou d’immédiat, juste des petits changements de trajectoires, imperceptibles à première vue, mais suffisants pour tout bouleverser sur la longueur.
Quel ressenti ! Quelle atmosphère ! Impeccablement adapté par Jean-Louis Bocquet et admirablement mis en images par Edith, La maison du canal est une lecture immersive où chaque regard et chaque courant d’air sont lourds de sens. En surface, la dessinatrice caresse son sujet avec douceur et évite les coups d’esbroufe inutile. Ce n’est qu’une ruse pour mieux faire ressortir les failles et les douleurs au détour d’une case innocente. Quand le lecteur réalise la supercherie, il est trop tard. Il est obligé d’abdiquer et d’accepter une fatalité pourtant visible dès la première page. Fascinant et superbement réalisé.