Résumé: Hubert Mounier, connu sous le pseudo Cleet Boris, ex-chanteur de l'emblématique groupe de rock français "L'affaire Louis' Trio", a tenu le journal dessiné de la gestation de son disque solo "La Maison de pain d'épice". Souvent drôle, parfois grave et toujours sincère, Hubert Mounier livre, dans ce Journal empreint d'une grande humanité, le témoignage intime des doutes et des joies qui ont accompagné la naissance de son nouveau disque.
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n 1994, alors que Monsieur Jean était au centre des conversations bédéphiles à l'occasion de la sortie du troisième album de la série Les femmes et les enfants d'abord (Les Humanoïdes associés), Dupuy et Berberian proposaient d'en découvrir les coulisses dans Journal d'un album (L'Association). Une pépite était née, dans un genre peu exploré jusqu'alors. Des auteurs y consignaient leur quotidien de créateurs, leurs interrogations, leurs angoisses, révélaient leurs démons, avec une pudeur, un recul et surtout un humour qui font toujours de ce journal une référence et un plaisir de re-lecture.
Journal d'un disque est le sous-titre de La maison de pain d'épice signé Cleet Boris. Sous ce nom, Hubert Mounier livre ses souvenirs de la période qui a précédé la sortie de son nouvel album éponyme attendu dans les bacs pour le 22 février, quatre jours après la sortie de cette BD. De décembre 2007 à octobre 2010, l'ancien trublion swinguant de L'affaire Louis trio revient sur la genèse de ses nouvelles chansons, exercice traditionnellement de longue haleine. Le temps qui peut s'écouler entre l'embryon d'une mélodie et le résultat livré à l'auditeur s'étire, la construction s'élaborant par strates, au fil des enrichissements et parfois de remises en cause. Ce disque-là n'aura pas échappé à la règle : des rendez-vous successifs avec son complice, Benjamin Biolay, déjà présent sur son précédent opus en 2005 et préparateur à l'accouchement qui n'ira pas cette fois jusqu'à suivre l'évènement jusqu'à son terme et le passage en studio, le parcours se lit sans déplaisir. Outre la petite galerie de portraits de musicos associés au projet et qu'il eut été étonnant de ne pas trouver, les affres d'une rupture de contrat perturbent et affectent le quotidien de l'auteur. Il revient aussi sur l'évolution de sa carrière, délivrant au passage quelques coups de griffes à certains "confrères" dont la production ne trouve pas grâce à ses yeux.
L'artiste étant aussi homme, le retour sur quelques pages tournées en matières de dépendances (alcool, cigarettes), sur les joies de vivre loin de la grande ville et d'être père, complètent le tableau. En matière de graphisme, pas de surprise, depuis J'ai réussi (Magic strip) ou les visuels accompagnant Chic planète il y a 25 ans, Mounier manie avec élégance une ligne claire moderne avec, à l'occasion, un je-ne-sais-quoi de Serge Clerc et de Frank Le Gall. A ce titre, la pochette de la version limitée de Voyager léger demeure un exemple parfait d'épure et de légèreté, avec une touche de mélancolie, autant qu'un joli écrin pour une série de chansons tout aussi délicates et équilibrées.
Dans La maison de pain d'épice, il y a d'autres friandises. Celles-ci devraient faire le bonheur de quelques vieux lecteurs qui, probablement, se laisseront aller à un soupir, de ceux qui accompagnent la dégustation d'une madeleine évoquant la période des culottes courtes ; exhalent alors des odeurs des goûters et des livres petits formats en noir et blanc, qu'on avalait les un comme les autres avec gourmandise. En détournant, avec un respect évident, quelques couvertures d'Atome Kid, Météor, Zembla, et surtout d'Akim pour prendre la place du héros, il contentera ceux qui ont été élevés aux productions Lug et Mon journal. Le chanteur ne cache pas que Tarzan a fait partie de ses héros, mais avoue aussi une tendresse pour ses cousins italiens nés sous le crayon d'Augusto Pedrazza. Sa préférence semble aller au dernier nommé, fils du consul britannique adopté par un gorille et qui deviendra roi des animaux dont il maîtrise le langage. Pendant plus de 750 numéros, sur un quart de siècle, Akim aura affronté un nombre incalculable de bêtes dangereuses, d'hommes plus méchants encore, de monstres improbables, de robots déglingués sous les vivats de gosses, heureux de le retrouver deux fois par mois contre une poignée de ferraille.
Le livre de Boris / Mounier contient cela aussi, et pour peu que ce type de souvenirs sommeillent encore dans un coin de l'esprit, il prend une dimension supplémentaire qui lui aurait sans doute fait défaut. Sympathique, plaisant, indiscutablement, mais pas totalement jubilatoire du fait de sauts trop conséquents entre les périodes auxquelles il se réfère, ce Journal se feuillette dans l'attente du disque plus qu'il se dévore pour ses qualités propres. Acharnés du making of et de recettes de cuisine techniques sur la fabrication d'un disque, abstenez-vous. Amateurs de l'artiste, même sans être collectionneurs compulsifs, ne boudez pas votre plaisir.