Résumé: Ce roman graphique poignant retrace le parcours de Mahar, yézidi enlevé à ses parents par Daech lorsqu'il avait dix ans pour devenir un enfant soldat. La scénariste évoque sa rencontre et ses échanges avec le garçon jusqu'à sa majorité, qui le vit alors livré à lui-même, porteur d'un lourd passé. Ce livre poignant est l'histoire de Mahar, mais aussi une part de notre propre histoire.
C
aché derrière un poteau, viser, tirer, toucher. Un ennemi de moins, le groupe peut avancer. Le jeu absorbe toute l’attention de Mahar. Il y passe ses nuits. La guerre, les armes, il les connaît de très près. Elles ont débarqué dans sa vie à l’été 2014 quand les hommes de Daech ont dévasté son village, tué ou kidnappé les habitants. Leur tort ? Être yézidis. Alors âgé de dix ans, le garçon a été séparé de sa famille et envoyé dans une école coranique. Endoctriné, il devient un ashbal, un enfant-soldat prêt à assassiner et mourir pour l’État islamique.
Il y a quelques années, les exactions du califat imposé par Abou Bakr al-Baghdadi en Irak et en Syrie faisaient les gros titres de l’actualité. La mort du chef et des revers répétés ont signé la déroute de ce régime. Pourtant, dans cette zone, tout n’est pas apaisé et le conflit a laissé des traces, notamment chez les plus jeunes combattants, ces « lionceaux » conditionnés, armés, utilisés dans des attentats suicides, comme sentinelles dans le désert ou sur la ligne de front. Afin de comprendre ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils sont devenus, la journaliste et documentariste Anne Poiret, spécialiste des après-conflits, s’est rendu dans un camp de déplacés au Kurdistan irakien pour y rencontrer certains d’entre eux. Elle en a tiré un film documentaire, diffusé en 2021, avant d’œuvrer avec Lars Horneman (Ivalu, Zenobia) au dessin pour livrer une bande dessinée se focalisant sur l’un de ces garçons.
D’emblée, la tension, la violence et le spectre de la mort agrippent le lecteur et resteront jusqu’au bout, maintenant le personnage principal dans une sorte de boucle sans issue apparente ; comme s’il était impossible de s’extirper de la spirale de la brutalité. Puis, pour planter le décor, le récit s’attarde sur le contexte des entretiens menés par l’autrice et sur les événements qui ont secoué cette région. Ensuite, tout s’enclenche et le parcours du protagoniste se déroule au rythme des heurts vécus : l’arrachement à son foyer, le lavage de cerveau et l’embrigadement, les combats et les tués sur fond de bombardements, les blessures qui se gravent dans son corps d’adolescent à peine pubère. Cela se passe dans une sorte d’hébétude, comme si Mahar était anesthésié, déconnecté de tout affect. Le propos montre plutôt bien la difficulté qu’éprouve l’ancien ashbal pour expliquer comment il en est venu à penser comme ceux qui torturaient son groupe ethnique ou à banaliser les exécutions. Les questions autour de la réintégration à sa communauté, de la réadaptation à une vie loin de la théocratie de l’État islamique sont également abordées. Elles pointent un sentiment de colère, une impression de décalage, mais aussi la méfiance que le garçon grandi trop vite inspire aux autres. Cela est restitué avec beaucoup d’à-propos par le trait semi-réaliste de Lars Horneman qui s’attache à rendre au mieux les émotions, ainsi que les ravages tant visibles qu’invisibles de la guerre.
Petite lucarne ouverte sur l’exploitation de gosses comme force armée, Mahar le lionceau ou l’enfance perdue des jeunes soldats de Daech se révèle être un roman graphique tant poignant qu’intéressant.
Les avis
Erik67
Le 07/04/2025 à 07:13:50
Mahar n'a pas eu le choix que de s’enrôler dans l'armée de Daesch. C'était cela ou la mort. La particularité ? C'était encore un gosse de 10 ans mais une véritable arme pour le Califat dans sa guerre contre tous les mécréants. Oui, ils ont utilisé même des enfants sans aucune moralité pour atteindre leur objectif militaire.
Cette BD nous raconte le témoignage de cet enfant parmi d'autres qui ont été kidnappé au Kurdistan irakien et qui ont assisté au massacre de leur propre peuple les Yézidis. Mahar va vivre au sein de l'Etat islamique où il sera fortement endoctriné dans des écoles coraniques avant d'être envoyé au combat comme de la chair à canon.
Ce qu'il va vivre est absolument inimaginable pour tout individu vivant loin de la guerre et dans le confort de nos sociétés occidentales. Un enfant innocent ne devrait jamais avoir vécu un tel calvaire. C'est d'une inhumanité sans nom. Comment se reconstruire psychologiquement après ça ?!
Un mot sur le dessin du danois Lars Horneman qui arrive à trouver le ton juste grâce à un graphisme qui fait dans le réalisme mais avec un trait plutôt prononcé. Evidemment, cela colle avec ce type de BD documentaire.
Comme il s'agit d'une histoire vraie, cela fait encore plus froid dans le dos car c'est à la fois effrayant et tragique. On ne peut qu'être révolté par une telle situation et on a envie de construire un autre monde plus pacifié et qui respecterait notamment l'enfance comme le sanctuaire le plus sacré.
L'autrice Anne Poiret qui est journaliste a voulu surtout s'intéresser aux conséquences après la fin de la guerre contre Daesch pour mesurer non seulement les effets mais pour pouvoir également alerter l'opinion publique du danger de la mauvaise gestion du défi de la reconstruction.
Au final, un album « témoignage » intéressant et instructif sur certaines vérités qui peuvent déranger. Mais bon, cela retourne car c'est très dur à supporter. La BD n'est pas qu'une forme de divertissement, c'est bien plus comme par exemple un regard sur l'actualité et le monde.