Le 22/01/2020 à 22:52:06
Ce travail, fruit de la longue fréquentation de Jean-Claude Carrière des épopées indiennes, dont le Mahabharata qu’il monta, on s’en souvient, avec Peter Brook, mérite vraiment de s’y attarder… Pour ceux qui veulent avoir accès au texte lui-même, la seule traduction intégrale disponible aujourd’hui à ma connaissance est celle qu’en ont faite Guy Vincent et Gilles Schaufelberger, et parue en huit tomes denses aux Éditions Orizons. Ce poème, le plus long de toute la littérature mondiale, est postérieur au Ramayana, autre épopée incontournable de la culture indienne. Il met en scène deux clans cousins d’une même famille, les Pandavas et les Kauravas, qui se disputent le royaume. Des très nombreux personnages de cette épopée, le récit présenté ici ne retient « que » les plus importants et un arbre généalogique placé en début d’ouvrage auquel on se réfère périodiquement, nous permet de replacer tel ou tel d’entre eux dans cette large famille où les héros côtoient les dieux, quand ils n’en sont pas eux-mêmes. Le récit suit fidèlement l’épopée, en se focalisant sur la trame principale, laissant de côté toutes les « petites » histoires de cette grande Histoire ! Ces à-côtés fournissent une substance toujours très fraiche et perpétuellement renouvelée aux conteurs qui ont façonné un pan entier de la culture indienne. Ce parti pris permet de suivre de façon particulièrement remarquable cette – très – complexe histoire, dont le mérite tient à la subtilité de l’action et des décisions prises par les protagonistes, aucun des deux clans ne possédant la « vérité » et trichant à tour de rôle pour arriver à ses fins. Même Krishna, huitième avatar du dieu Vishnou, cocher d’Arjuna, le principal héros de l’épopée, est obligé de recourir à la ruse pour faire triompher son protégé. En résumé, on peut dire que la trame principale est très fidèlement respectée, au détriment donc d’une certaine simplification de l’œuvre monumentale. Mettre en images cette épopée est une gageure terrible, tant l’imaginaire indien a déjà façonné au cours des siècles les héros connus de tous et toutes là-bas et que, depuis plusieurs dizaines d’années, des séries télévisées ont permis d’associer des visages aux protagonistes. Je dirais que Jean-Marie Michaud s’en sort haut la main, même si quelques partis pris peuvent être discutables (mais je pense que c’est inhérent à ce genre d’entreprise). J’ai été personnellement gêné au tout début, avant que l’histoire ne commence, le côté presque familier étant de mon point de vue anachronique avec le propos. Mais le traitement de la Bhagavad gita, texte sacré pour les hindous, positionnée au moment où Krishna, sentant Arjuna prêt à défaillir avant le début de la grande bataille, lui révèle sa vraie nature divine, est plutôt réussi artistiquement. J’ai seulement regretté de ne pas voir, comme le texte original le décrit, l’univers entier dans la bouche grande ouverte de l’avatar de Vishnou (pour les amateurs d’art, Diane de Selliers a publié un magnifique ouvrage centré sur ce texte majeur). Le traitement des personnages est à double tranchant : leurs traits peuvent parfois sembler caricaturaux et iconoclastes, mais ils sont tellement typés que cela permet un repérage très facile (c’est sans doute l’objectif poursuivi par le dessinateur) tout au long de la lecture. En conclusion, une œuvre majeure traitant d’une Œuvre Majeure, qui aurait bien mérité de mon point de vue un « coup de cœur » sur ce site !BDGest 2014 - Tous droits réservés