Résumé: Pourquoi le chiffre de 50 000 victimes revient-il aussi souvent dans les médias américains ? Les journalistes devraient-ils annoncer leurs intentions de vote ? Internet radicalise t-il nos opinions ? Ce sont quelques-unes des questions soulevées par Brooke Gladstone, journaliste spécialiste des médias pour la radio publique américaine NPR. Avec l’aide du dessinateur de bande dessinée documentaire Josh Neufeld, elle retrace dans La Machine à influencer l’évolution des médias d’information et des pratiques journalistiques. Des premières dérives de l’information sous l’empire romain jusqu’aux errements des médias américains au moment de l’entrée en guerre contre l’Irak, Brooke Gladstone s’interroge et livre une grande leçon de journalisme.
Passionnant manifeste, La Machine à influencer réfute les théories qui représentent les grands médias en tireurs de ficelles tout-puissants. De la censure aux journalistes « embedded » en zones de guerre, le livre recense les stratégies des politiques pour s’accommoder du quatrième pouvoir, décortique les différents biais qui affectent les journalistes, décrit le circuit des sondages et statistiques qui parviennent jusqu’à nous et explique comment nous en venons à croire ou rejeter certaines informations. Brooke Gladstone et Josh Neufeld nous fournissent ainsi des outils pour décrypter les médias et rester des consommateurs (voire des producteurs) d’information vigilants.
Q
uel est le rôle des journalistes ? Donner au public ce qu'il veut entendre, ou ce qu’il est nécessaire qu'il entende ? Mais alors, qui décide de ce que le public est censé attendre, ou de ce qu’il doit impérativement savoir ? Cette façon dont les média créent l’information, la hiérarchisent, la présentent, l’amplifient ou la minimisent, ces questions sont au cœur de la Machine à influencer, justement sous-titrée : une histoire des média. Car depuis que l’information circule, il est tentant de la contrôler, de la manipuler, de l’utiliser à dessein. Que ce soit les puissants, les gouvernants, les opposants, tous essayent d’influencer la machine médiatique. Mais dans quelle mesure cette dernière pèse-t-elle véritablement sur l’opinion, quelle est son emprise réelle sur le cours des événements ?
Équivalente new-yorkaise de notre Daniel Schneidermann national – qui préface d’ailleurs le livre –, Brooke Gladstone est une chroniqueuse radio spécialiste de l’étude de la presse. En accumulant les anecdotes, les épisodes historiques, en décortiquant le fonctionnement des gazettes d’antan ou des chaînes d’info modernes, en pointant du doigt leurs errements et leurs travers, la journaliste explore tous azimuts la galaxie médiatique. Bien que la plupart des faits illustrant le sujet soient tirés de l’histoire, récente ou non, des États-Unis, leur pertinence demeure néanmoins universelle. Et l’humour omniprésent dans l’ouvrage incite bien volontiers à tourner les pages pour en découvrir la suite. Le choix de Josh Neufeld (A.D. La nouvelle-Orléans après le déluge) pour mettre en images cet exposé s’avère judicieux : son trait simple et réaliste, son encrage appuyé, mais surtout sa mise en page inventive et énergique, servent idéalement le discours, organisé en courts chapitres dynamisant la lecture.
Saison brune, Les meilleurs ennemis, La survie de l’espèce, et désormais La machine à influencer, l’essai d’analyse politique est décidément un genre en vogue dans le neuvième art. Il faut dire que sa puissance narrative sert particulièrement bien les intentions pédagogiques de ces œuvres, mais il convient aussi de constater que la bande dessinée reste soumise aux mêmes exigences de rigueur architectonique que n’importe quelle forme d’expression, et que c’est bien ce qui fait défaut ici pour pleinement satisfaire l’esprit. Les séquences s’enchaînent, délivrant une masse colossale d’informations, tantôt déclinées chronologiquement, tantôt groupées thématiquement, mais faute d’une ligne directrice claire, le lecteur absorbe ces données – par ailleurs hautement instructives et parfaitement édifiantes – sans en discerner pour autant la finalité. Car si les auteurs – on l’a vu en préambule – posent beaucoup de questions, s’ils rapportent nombre de faits pour éclairer leur propos, ils se gardent bien d’apporter la moindre réponse. En renvoyant dos à dos journalistes en manque d’éthique et public par trop indolent, il ne reste que cette frustrante sensation, faite de fatalisme et d’impuissance, face au fonctionnement des média.
Malgré cette ultime indécision, le décryptage approfondi et savoureux des mœurs journalistiques et des dérives médiatiques mis ici en lumière font de cette Machine à influencer un véritable manuel de lutte contre les désinformations de tous poils.
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Les avis
Erik67
Le 04/09/2020 à 17:47:22
Les médias et la presse représentent le quatrième pouvoir car ils peuvent servir de contre-pouvoir aux trois autres (exécutif, législatif et judiciaire). On a déjà vu dans l’histoire un ou plusieurs journalistes qui ont fait tomber des gouvernements, voir l’homme le plus puissant au monde à savoir Nixon en 1974 par la célèbre affaire du Watergate. Autre exemple célèbre : les journaux de Randolph Hearst ont contribué, par des articles allant au-delà du simple rapport de la politique étrangère de Washington, à la déclaration de guerre des Etats-Unis contre l’Espagne qui mena à la prise de contrôle de l’île de Cuba en 1898.
L’auteur Brooke Gladstone qui a travaillé pour de nombreux médias (journaux, radios et TV) a mené une redoutable enquête sur les médias à travers l’histoire de son pays les USA. Il en ressort une analyse à la fois passionnante mais également très effrayante. On a tous à l’esprit le rôle joué par les médias dans ce qui a conduit à la guerre contre l’Irak en 2003. Cependant, il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que les médias exercent une influence importante. Ils peuvent mettre l’accent sur des faits divers conduisant à un sentiment général d’insécurité visant à faire tomber un premier ministre voulant devenir président. Ils peuvent nous présenter une blanche colombe à la présidence de la République ou faire qu’un Monsieur 3% le devienne. Oui, leur influence est plus que déterminante.
Au nom de la démocratie et de la liberté de la presse (nous sommes tous Charlie), ils peuvent nous conduire à faire des choses insensées. J’ai rarement vu un reportage d’une telle charge bien constructive et assez argumentée. Mon reproche sera que c’est extrêmement bavard et que les démonstrations sont plutôt destinées à des élèves de dernière année de journalisme. Ce n’est pas réellement accessible même si l’auteur tente de l’être.
J’ai bien aimé les exemples pris comme la guerre de Sécession ou du Viêt-Nam. Là encore, c’est assez tourné vers les USA comme s’il n’y avait qu’eux. Il y a également une réflexion sur une projection dans l’avenir avec le numérique. On sait par exemple que les forums sur Internet ont été bloqués sur les sites d’actualité au moment des attentats de janvier 2015 en France afin de contenir le flot de haine.
Cependant, il est également montré que le pouvoir politique a longtemps combattu (la censure) ou essayer de manipuler les médias (voir guerre d’Irak et les fameuses armes de destruction massive de Saddam Hussein). Par ailleurs, l’opinion publique peut s’affranchir des médias.
Sélection Prix France Info de la Bande dessinée d’actualité et de reportage 2015, ce documentaire est à découvrir pour se faire une véritable idée des mécanismes complexes qui influencent. C’est certes une critique des médias mais également de ceux qui les suivent ! En effet, nous avons soif de sensationnalisme et nous sommes des voyeurs surtout quand il se passe quelque chose de terrifiant dans le pays.